Un demi-siècle après octobre 1970, qu’est-il advenu des sociétés canadienne et québécoise? Dans la foulée d’un travail identitaire déjà défriché depuis des années avec l’homme de théâtre Sébastien Ricard, la metteure en scène et créatrice Brigitte Haentjens a proposé Pour en finir avec Octobre?, un balado dont le dernier épisode était présenté en direct, à Québec, samedi dernier.
Au moment où tous les grands médias présentent des rétrospectives, y compris sous la forme de balados, la démarche de Mme Haentjens et M. Ricard vise à se démarquer.
« Avec Sébastien Ricard, cela fait 15 ans que l’on partage beaucoup de projets artistiques, mais aussi de projets citoyens… On a créé ensemble le Moulin à paroles, Nous? en 2012… On a quand même une réflexion permanente, politique et citoyenne, que nous partageons depuis des années. Ce n’est pas un événement en particulier, puisque nous réfléchissons toujours à des événements comme celui-là, mais là, avec le 50e anniversaire, on avait vraiment le goût de poser une réflexion différente de ce que l’on entend dans les médias », mentionne ainsi Mme Haentjens, en entrevue téléphonique avec Pieuvre.ca.
L’idée, dit-elle, consiste ainsi à « remettre en question le récit traditionnel qui est fait d’octobre 70, c’est-à-dire toujours un peu le même, dans le sens que tout ce qu’on entend, c’est la mort de Pierre Laporte, « mon dieu, c’est donc terrible, la violence de ces terroristes », mais il n’y a jamais, ou rarement, de mise en lumière ce qui précède, cet espèce d’espoir dans lequel nous étions avant la crise ».
« C’est un peu ça, le but… Souvent, dans le récit qui est fait, qui est toujours un peu confus, on remarque que l’objectivité en prend pour son rhume. On voit que l’on ne peut pas parler de cela de façon objective. »
Pour en finir avec Octobre est bien sûr, aussi, le titre d’un essai de Francis Simard, paru aux éditions Lux, avec une préface de Pierre Falardeau. M. Simard, qui fut membre du FLQ et de la cellule Chénier, et qui collabora à l’enlèvement du ministre Laporte, est mort en 2015.
Dans son livre, M. Simard disait vouloir raconter l’histoire du Front de libération du Québec dans ses mots, ainsi que les événements d’octobre 1970, « pour passer à autre chose ».
Passer à autre chose… Le concept ne trouve pas nécessairement directement écho dans le propos de Brigitte Haentjens, au bout du fil, mais on sent que celle-ci s’oppose au traitement largement politique réservé à cette crise qui a cristallisé les relations du Québec avec le reste du Canada.
La situation politique du Québec est d’ailleurs « toujours confuse », affirme Mme Haentjens. « Nous nous posions des questions, nous voulions en poser aux gens… »
« Je pense que notre point de vue est à la fois artistique, poétique, intime, personnel et politique. Mais la politique n’est pas nécessairement quelque chose de politique, non plus. J’ai toujours cru que l’art que je faisais est politique. Ça ne veut pas dire que c’est un art militant; ça ne veut pas dire qu’on applique une grille idéologique. La politique est un regard sur le monde qui devrait être ancré dans notre société de façon profonde », ajoute-t-elle encore.
En attente des réactions
Fait étrange, souligne Mme Haentjens, la série en balado a suscité bien peu de réactions, à l’exception des proches collaborateurs et des amis des créateurs. « On n’en entend presque pas parler comme objet d’art, ou comme objet en soi. C’est typique du Québec: on préfère se taire et mémérer dans les repas de famille, plutôt que de prendre position à propos de quelque chose. »
On sent aussi un léger agacement, chez elle, lorsqu’elle évoque le traitement de la série en baladodiffusion dans les médias: « Un journaliste a présenté Sébastien comme acteur, musicien et militant indépendantiste… Ce qui est faux: il n’est pas militant indépendantiste. Ce n’est pas parce qu’il a des convictions qu’il est militant. »
« C’est comme si on savait d’avance ce que Sébastien Ricard avait à dire; c’est un peu insultant, en fait. »
Selon Mme Haentjens, « c’est un peu difficile, parce que nous sommes habitués, lorsque nous faisons un spectacle, à sentir ce que les gens ressentent, même s’ils ne l’expriment pas toujours verbalement ».
La metteuse en scène croit ainsi que l’absence de commentaires sur l’oeuvre « est révélatrice du sujet ». « Nous n’avons pas créé de pamphlet politique… C’est étrange de ne pas avoir de rétroaction aussi directe. »
Et qu’en est-il de la classe politique? Les élus se sont-ils plongés dans Pour en finir avec Octobre? « Vous l’avez entendue, vous, la classe politique, parler de cette crise? Moi, je ne l’ai pas entendue », lance Brigitte Haentjens.
« Nous avons un débat sur les excuses, mais les excuses, ça change quoi? », dit celle qui affirme « ne pas voir la nécessité d’excuses (pour les arrestations massives d’octobre 70), mais plutôt d’un vrai débat ».
Le problème semble donc encore entier, 50 ans après la pire crise politique de l’histoire canadienne. Mais peut-être que la série de Mme Haentjens et M. Ricard aidera à voir les choses autrement.