On a souvent fait état de rencontres entre nos ancêtres Homo sapiens et nos cousins Néandertaliens, qui ont laissé des traces de ces derniers parmi nos gènes. Remontant encore plus loin dans le temps, des chercheurs viennent d’identifier un chromosome d’Homo sapiens qui a pris la place de son homologue néandertalien il y a plus de 100 000 ans, peut-être même plus de 300 000 ans.
Cela placerait cet événement avant même que nos ancêtres directs n’aient quitté l’Afrique —alors que les « rencontres » identifiées jusqu’ici dans nos gènes ont plutôt pris place dans les 70 000 dernières années, soit lorsque les Homo sapiens ont croisé la route de leurs cousins présents depuis longtemps en Europe et en Asie.
Comme d’habitude lorsqu’on parle de ces rencontres entre diverses espèces humaines, l’histoire est plus compliquée qu’elle en a l’air. Le chromosome dont il est question ici est le chromosome Y. Un chromosome est composé d’un certain nombre de gènes et avec ce qu’on estime du nombre de mutations par chromosome et par siècle, les scientifiques qui arrivent à comparer notre bagage génétique avec celui d’un lointain ancêtre ou d’un lointain cousin peuvent calculer approximativement à quel moment ces « familles » ont divergé. C’est en vertu de ce genre d’études qu’on a pu entendre, ces dernières années, que la « famille » qui allait devenir les Néandertaliens et les Dénisoviens avait divergé de nos propres ancêtres il y a 550 à 700 000 ans.
Mais le chromosome Y place, lui, le dernier ancêtre commun il y a 370 000 ans, écrit une équipe dirigée par les généticiens Martin Petr et Janet Kelso dans la revue Science. Or, il n’y a pas de contradiction entre ces deux estimations: cela veut simplement dire que même après avoir « divergé », les pré-Homo sapiens et les pré-Néandertaliens et les pré-Dénisoviens ont continué de s’échanger des gènes. Et c’est autour de ces échanges que le chromosome Y des Néandertaliens a été supplanté.
Pour compliquer encore plus la chose, cet Homo sapiens qui a laissé ses traces chez les Néandertaliens appartenait vraisemblablement à une branche de notre espèce qui s’est ensuite éteinte: soit un groupe qui avait quitté l’Afrique il y a plus de 100 000 ans, mais n’a pas laissé de descendance directe. Ce qui, au passage, écarte l’hypothèse comme quoi ce chromosome aurait supplanté l’autre en raison d’une sorte de supériorité évolutive de notre espèce. En fait, il n’est pas clair pourquoi l’un a supplanté l’autre, écrivent les chercheurs, mais mettre la main sur davantage d’ADN ancien aidera peut-être à comprendre.