Bien que le duel entre Joe Biden et Donald Trump aspire tout l’oxygène disponible, il n’y a pas que la présidence qui sera en jeu le 3 novembre. Les électeurs devront aussi pourvoir des milliers d’autres postes électifs, de l’humble contrôleur des finances du comté jusqu’au puissant sénateur en passant par les shérifs, les législateurs locaux et même… les directeurs d’élections. Voici les portraits de quelques-unes des courses les plus importantes.
La Chambre des représentants
Les 435 sièges à la Chambre, répartis entre les 50 États au prorata de la population, sont remis en jeu tous les deux ans. Chaque État dessine lui-même sa carte électorale et divise son territoire en districts de populations relativement similaires, sauf pour les quelques États qui ne disposent que d’un seul siège. La Chambre compte aussi quelques délégués sans droit de vote qui représentent les intérêts du District de Columbia et des territoires américains qui ne détiennent pas le statut d’États, comme Guam et Porto Rico. Deux nations autochtones, les Cherokees et les Choctaws, ont aussi le droit de désigner des représentants sans droit de vote à la Chambre, mais ces postes n’ont encore jamais été pourvus.
Les démocrates détiennent la majorité à la Chambre depuis 2019. Le caucus démocrate compte actuellement 232 membres, contre 197 pour le caucus républicain, un élu libertarien et cinq sièges vacants. Cette majorité démocrate permet à la présidente démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi, de fixer le calendrier législatif. Il s’agit d’un pouvoir considérable puisque la Constitution réserve à la Chambre l’initiative de tous les projets de lois qui ont des implications financières. Ce pouvoir est cependant tempéré par celui du Sénat et par le droit de veto présidentiel; sans entente entre les trois, rien ne bouge.
Il est impossible de discuter de l’élection à la Chambre sans aborder la question du «gerrymandering». Nommé d’après Elbridge Gerry, un ancien gouverneur du Massachusetts qui avait perfectionné cette pratique en créant un district en forme de salamandre, le gerrymandering consiste à dessiner les frontières des districts électoraux en fonction d’impératifs partisans. Par exemple: en entassant le plus d’électeurs du parti opposé dans un petit nombre de districts afin de gagner soi-même les autres avec des majorités plus faibles, mais imparables.
Le gerrymandering est contesté (parfois devant les tribunaux, lorsqu’il s’apparente trop à de la ségrégation raciale) mais il demeure une pratique courante. En effet, ce sont les législatures locales qui sont responsables de la carte électorale dans la majorité des États. Or, les républicains détenaient des majorités dans la plupart des législatures d’États lors du dernier découpage, après le recensement de 2010. Ils ne se sont pas gênés pour en profiter. Les politologues s’accordent pour dire que les républicains bénéficient actuellement d’un avantage structurel qui vaut entre 15 et 25 sièges. Par exemple, en 2018, les candidats républicains ont obtenu 10 des 13 sièges de représentants en Caroline du Nord, bien qu’ils n’aient gagné le vote populaire dans cet État que par deux points de pourcentage. À l’échelle nationale, les démocrates doivent obtenir une majorité de 3 à 5 points de pourcentage au vote populaire pour espérer contrôler la Chambre.
Malgré ces obstacles structurels, les démocrates devraient conserver leur majorité le 3 novembre. Les analystes de fivethirtyeight.com estiment à 95% la probabilité d’une majorité démocrate, compte tenu des intentions de vote exprimées dans les sondages. La principale question consiste à connaître la taille de cette majorité: dans 80% des simulations de FiveThirtyEight, les démocrates font élire entre 223 et 254 candidats.
À cause du gerrymandering, la plupart des districts à la Chambre des représentants sont pratiquement gagnés d’avance pour l’un ou l’autre des partis. Plusieurs candidats démocrates transportés par la vague anti-Trump de 2018 représentent cependant des districts à majorité républicaine. Il sera intéressant de voir lesquel(le)s pourront conserver leurs postes. Surveillez en particulier Katie Porter, une étoile montante qui est la première démocrate jamais élue dans le relativement conservateur 45e district de Californie.
Le Sénat
Aux États-Unis, les sénateurs sont élus au suffrage universel pour des mandats de six ans et un tiers du corps sénatorial est renouvelé tous les deux ans, selon un principe d’alternance. Chaque État compte deux sénateurs, peu importe sa population; ils sont élus par l’ensemble des électeurs de l’État et représentent la totalité de celui-ci plutôt qu’un district électoral spécifique. En 2020, un total de 35 sièges seront à l’enjeu: les 33 sièges de la «classe 2» prévus par la loi, ainsi que les deux postes occupés sur une base intérimaire par les républicaines Martha McSally de l’Arizona (désignée pour compléter le mandat de John McCain, décédé en 2018) et Kelly Loeffler de la Géorgie (qui remplace le démissionnaire Johnny Isakson).
Le Parti républicain détient actuellement la majorité au Sénat avec 53 sièges, contre 45 démocrates et deux indépendants, Bernie Sanders du Vermont et Angus King du Maine (qui font habituellement cause commune avec les démocrates). Cette majorité est cependant menacée: 35 des membres du caucus démocrate, dont King et Sanders, n’ont pas à défendre leurs sièges en 2020, comparativement à seulement 30 républicains. Pour maintenir leur majorité, les républicains devront donc remporter 21 des 35 sièges disponibles. Ce qui ne sera pas une mince tâche: selon FiveThirtyEight, les démocrates ont 73% de chances de prendre le contrôle du Sénat. (Le résultat le plus probable, obtenu dans 16,3% des simulations menées par FiveThirtyEight, est cependant… une égalité parfaite, 50-50.)
L’élection sénatoriale attire une attention particulière cette année en raison de la nomination de la juge ultraconservatrice Amy Coney Barrett à la Cour suprême. La Constitution réserve en effet au Sénat le droit de ratifier les candidatures proposées pour les différents tribunaux fédéraux. En 2016, le chef de la majorité républicaine, Mitch McConnell, avait refusé d’accorder une audience au candidat proposé par le président Barack Obama pour succéder au juge conservateur Antonin Scalia, Merrick Garland, sous prétexte qu’il serait inapproprié de pourvoir le poste pendant une année électorale. McConnell n’a pourtant pas hésité un instant avant d’organiser des audiences pour confirmer l’élévation de Barrett à la Cour suprême, à peine quelques semaines avant l’élection de 2020. En tout, McConnell a piloté la confirmation de quelque 200 juges conservateurs depuis l’élection de Donald Trump, soit un quart de la magistrature fédérale. L’inaction du Sénat en matière de secours aux victimes de la COVID-19 pourrait aussi influencer les électeurs.
Quelques courses méritent une attention particulière. Mitch McConnell lui-même semble en bonne voie d’être réélu au Kentucky, mais une bourde lors du dernier débat (il s’est éclaté de rire quand son adversaire, la pilote militaire à la retraite Amy McGrath, a mentionné les souffrances des victimes de la pandémie) pourrait remettre sa victoire en question. En Arizona, McSally aura fort à faire pour résister au candidat-vedette des démocrates, l’astronaute Mark Kelly, ex-commandant de la Station spatiale internationale et époux de Gabby Giffords, une ancienne membre de la Chambre des représentants qui a été victime d’une tentative d’assassinat à l’arme à feu en 2011. En Caroline du Sud, le républicain Lindsey Graham reste légèrement favori, mais son adversaire Jaime Harrison a battu tous les records de levées de fonds pour un candidat sénatorial et pourrait devenir seulement le deuxième Afro-Américain élu au Sénat par un État du sud depuis le 19e siècle — après Tim Scott, qui est actuellement l’autre sénateur républicain de la Caroline du Sud. Enfin, en Géorgie, le résultat de l’élection spéciale pourrait ne pas être connu avant un deuxième tour de scrutin, en janvier 2021. On imagine la tension qui régnera si jamais ce deuxième tour devait décider de la majorité.
Les États
Il y a près de 7500 législateurs dans les 50 États américains et les trois quarts de tous ces postes seront à pourvoir le 3 novembre. Ce sera aussi les cas de 11 postes de gouverneurs, de 82 magistratures au sein des Cours suprêmes de chacun des États et d’une multitude d’autres postes électifs.
Certains de ces postes auront cependant une importance particulière sur le déroulement des affaires publiques au cours des prochaines années. Dans plusieurs États, c’est le secrétaire d’État qui est responsable du déroulement des élections. Cela entraîne parfois des conflits d’intérêts manifestes: en 2018, le secrétaire d’État de la Géorgie, Brian Kemp, présidait une élection au poste de gouverneur où il était lui-même candidat, tandis qu’en 2000 la secrétaire d’État de la Floride, Katherine Harris, était aussi la co-présidente locale de la campagne présidentielle de George W. Bush.
Mais surtout: les États devront bientôt redessiner les cartes électorales qui seront employées pendant les dix prochaines années. Le recensement qui se déroule en ce moment déterminera notamment la redistribution des sièges à la Chambre des représentants entre les États. Si les prévisions démographiques se confirment, le nord-est et le Midwest devraient perdre quelques sièges au profit des États du sud et de l’ouest. Quoi qu’il en soit, les deux prochaines années verront sans doute apparaître des efforts de gerrymandering renouvelés, au profit des partis qui domineront les législatures locales.
En ce moment, les républicains contrôlent les législatures de 29 États contre 19 pour les démocrates. Deux de ces législatures sont divisées, l’un des partis contrôlant la chambre basse et l’autre parti contrôlant la chambre haute.
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