Des guitares plus que distordues; du Eddie Grant et son Electric Avenue mêlé à une version sur les stéroïdes de We Are The Robots, de Kraftwerk; une pièce qui dure à peine 19 minutes… Le plus récent album de la formation Deerhoof, Love-Lore, dérange autant qu’il vient étrangement séduire.
Le premier contact n’est pas facile, surtout qu’il s’agit ici du véritable premier contact avec la musique de ce collectif de quatre membres originaire de San Francisco. Quoi de mieux, pour s’initier à un groupe de musique, que de plonger tête (et oreilles) première dans un medley de 43 chansons qui s’emboîtent et se télescopent?
Véritable caléidoscope sonore, Love-Lore s’écoute d’une traite, comme un bon trip musical, un peu à l’image de ce que l’on pourrait faire avec Voyage 34: The Complete Trip, du groupe Porcupine Tree. Une fois embarqués dans l’aventure, les mélomanes sont invités à ne pas sortir les bras ou les jambes du véhicule en mouvement. Bien entendu, rien n’empêche d’écouter les pièces séparément, mais on serait bien en peine de dégager un morceau qui est meilleur que les autres, sur ce disque Love-Lore. On parle plutôt d’une oeuvre intégrale, d’un « gros bloc » de musique de 35 minutes duquel on ressort quasiment essoufflé, les oreilles parfois bercées, parfois agressées par cette célébration de la délinquance sonore.
Cet album n’est certainement pas facile d’approche; de fait, il faudra probablement une deuxième, voire une troisième écoute avant de commencer à en comprendre les codes, les thèmes et sous-thèmes. Au-delà de la reprise de divers titres connus (et d’autres moins connus, du moins par ce journaliste), Love-Lore se veut, de l’avis du groupe, « une déclaration acerbe à propos des prophéties largement non réalisées des futurologues capitalistes concernant l’Ère spatiale, soit des funérailles pour des avenirs oblitérés par les projections d’un passé toxique ». Bon, la déclaration erre davantage du côté de l’ambition que du simple état de fait, mais on trouve, dans cette brassée d’accords et de notes, quelque chose comme un cri du coeur, un appel à changer les choses.
Le fait de reprendre We Are The Robots, justement, ne témoigne plus de l’espoir en un futur lointain, comme le mentionnait Kraftwerk, mais plutôt d’une constatation: avec la multiplication des écrans, avec les horaires irréguliers et surchargés, avec tout ce temps passé en ligne, et peut-être même avec les règles sanitaires actuelles qui réduisent largement la panoplie d’activités que nous pouvons accomplir, il y a un petit quelque chose de robotique.
Rien de mieux, alors, qu’un gigantesque mash-up pour faire éclater ce cadre et nous sortir de notre zone de confort.