La deuxième vague ne fait que commencer, mais l’alerte est déjà lancée du côté des impacts psychologiques. Ils devront être traités avec la même vigilance que les impacts physiques des malades hospitalisés.
Les témoignages personnels et les reportages en parlaient depuis des mois, mais des chercheurs viennent de mettre des chiffres sur l’ampleur du problème en mai et juin, à travers huit pays, dont le Canada. Où le taux de dépression majeure aurait avoisiné les 25%, une hausse de près de 7%. « C’est énorme et il faudrait pouvoir dépister largement les adultes car nous constatons que les idées suicidaires ont également bondi: près de 17% qui affirment qu’ils se verraient mieux morts », s’alarme la médecin-conseil Mélissa Généreux, de la Direction de santé publique de l’Estrie / INSPQ. « C’est bien plus élevé que ce à quoi on s’attendait. »
L’étude qu’elle mène avec d’autres collègues vise à étudier les réactions psychologiques et comportementales à la pandémie dans ces huit pays —dont l’Angleterre et les États-Unis. L’enquête, à laquelle ont participé plus de 8800 personnes dont 1500 Canadiens, s’intéresse aussi à l’incidence des nouvelles transmises par les médias traditionnels et les médias sociaux, parmi les autres facteurs de stress et de protection.
Une pandémie vient évidemment avec son lot de facteurs de stress. La menace pour le monde perçue comme élevée, l’auto-isolement ou la quarantaine, sans parler des pertes financières, sont en tête des facteurs mentionnés par les participants. Pour y faire face, les Canadiens ont développé différentes stratégies, comme une activité physique accrue (64,3% des répondants), une consommation d’alcool chez une personne sur trois (36,6%) mais aussi la consommation de cannabis (15,6%), plus élevée qu’ailleurs.
Pour l’ensemble du Canada, cela représente un taux de 19,6% pour les troubles d’anxiété généralisée parmi les personnes interrogées, et de 19,2% du côté du stress post-traumatique. C’est plus fort en Ontario: 23,4% de troubles anxieux et 26,2% de dépressions majeures.
Cette recherche entame sa seconde phase et les résultats complets seront publiés alors que le Québec sera peut-être au milieu ou à la fin de la 2e vague.
C’est aux États-Unis que la flambée des impacts fait le plus mal avec plus de 31% d’anxiété et 31,6% de dépressions majeures – une hausse estimée de 6,9% par rapport à une étude américaine comparable, en 2011.
« Les États-Unis ont un président qui contredit les experts de la santé publique. C’est le pays qui va le moins bien du côté de l’anxiété et de la dépression majeure », note Mélissa Généreux.
L’étude pilote, dont les résultats avaient été publiés au printemps, avait déjà montré que les Québécois étaient légèrement moins susceptibles de souffrir d’anxiété et de stress post-traumatique liés à la pandémie que les Canadiens: un Québécois sur six contre un Canadien sur 4.
Si les Québécois sont moins anxieux —alors que c’est la province où l’on dénombre le plus de cas— ce serait en raison d’une plus faible exposition aux fausses nouvelles et théories du complot que le reste du Canada. Les chercheurs constatent également un plus haut niveau de confiance envers les autorités.
Cohérence et résilience
Traverser ce type d’épreuve de manière positive serait une opportunité, comme individu ou comme communauté: ça aide à développer un « sentiment de cohérence ». Il s’agit de la capacité à donner du sens aux événements et qui permet d’envisager des solutions pour sortir de la crise: cette capacité serait le facteur majeur pour passer au travers des impacts psychosociaux. Ceux qui en sont dotés seraient trois fois moins susceptibles de présenter des troubles psychologiques.
« La perception qu’on a de l’événement et des risques va nous permettre de l’appréhender et de mobiliser des ressources et là, ce sont généralement les personnes plus âgées, avec plus d’expérience de vie, qui s’en sortent mieux », explique la chercheuse.
Pour un quart de la population, cela reste néanmoins une épreuve difficile à passer, qui pourrait avoir des impacts à long terme sur la santé mentale. C’est pourquoi il faut leur offrir du soutien mais également créer des environnements favorables au bien-être de tous, en tenant compte notamment des inégalités sociales.
Pour stimuler la résilience communautaire, les autorités locales de santé publique peuvent prendre des actions identifiées par la recherche : favoriser une information juste et positive, susciter la participation, l’engagement citoyen et communautaire et encore, répondre aux besoins psychosociaux des membres de la communauté.
Mélissa Généreux a beaucoup appris de la tragédie de Lac-Mégantic sur l’importance et la manière de renforcer la résilience communautaire à la suite d’une catastrophe. « On voit beaucoup de colère et d’opposition en ce moment sur les réseaux sociaux. Ce dont on a besoin, c’est de faire sens avec cette nouvelle réalité, de prendre soin des autres, de ses proches, et de soi. C’est le temps de se connecter, de penser au collectif et de se questionner: comment favoriser, par exemple, un réaménagement de l’espace public de manière sécuritaire et inclusive. »
Une initiative de Grande-Bretagne va dans ce sens avec la promotion des « prescriptions sociales » (social prescribing), des activités culturelles et sportives (chant, art, soccer, etc.), toutes financées par le gouvernement et utiles dans la lutte aux impacts psychosociaux de la pandémie.
Aller à la rencontre du monde
Depuis juin, un projet d’intervention psychosociale du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec propose des intervenants qui vont à la rencontre du grand public au sein de différentes municipalités de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Cette nouvelle approche vise à prendre le pouls psychologique de la population de ce large territoire.
« Nous donnons de l’information sanitaire et nous répondons aux questions tout en adoptant une approche ouverte pour cerner comment vont les personnes rencontrées, de la jeune maman à la personne âgée. Et même l’agriculteur, avec nos travailleurs de rang », explique Jovany Raymond, en charge du projet d’intervenants psychosociaux au CIUSSS de la Mauricie.
Pour les plus vulnérables et ceux très isolés, les intervenants offrent une écoute et des références, en plus d’établir un suivi psychologique rapide. Avec les problèmes d’emplois et financiers, mais aussi avec l’isolement social, de nombreuses personnes vivent une augmentation d’anxiété et une diminution de leur bien-être émotionnel, et cela pendant une longue période.
Ce projet, qui se poursuivra jusqu’en mars 2021, vise à améliorer la résilience communautaire, selon l’équipe du CIUSSS. « Le moral des gens remonte avec le déconfinement, le retour à l’école et au travail. Les gens réalisent qu’on va s’en sortir. Et nous espérons aussi une contamination positive de la population pour faire face à la désinformation que l’on peut lire sur les médias sociaux », rappelle M Raymond.
À la lecture des premiers résultats de l’étude du Pr Généreux, et de ses collègues, il note que cela apporte des pistes intéressantes « pour bonifier notre approche communautaire, mais aussi évaluer si nous allons dans le bon sens, comme pour la lutte à la désinformation».
Car il importe de bien informer les gens pour qu’ils puissent avoir des ressources pour contrer cette épidémie de fausses nouvelles et également avoir accès au bon service pour traverser la crise sanitaire et ses conséquences. « Il ne faut pas hésiter à consulter, les services sont là et les thérapies, disponibles. Ce sont jusqu’aux entreprises qui peuvent faire appel à ce service. Et nous allons continuer à ajuster nos pratiques selon les données probantes des études et surtout, les besoins de notre population », insiste Jovany Raymond.