Le 19 août, les scientifiques à bord du brise-glace allemand Polarstern ont atteint le pôle Nord en un temps record. Il n’y a pas si longtemps, ils auraient dû traverser une région couverte d’une glace dense, vieille de plusieurs années. En son absence, il leur a fallu seulement six jours pour relier le détroit de Fram, au nord du Groenland, au pôle Nord.
Pas de quoi étonner Bruno Tremblay, co-auteur d’une étude qui, en avril, concluait que la banquise de l’océan Arctique pourrait disparaitre chaque été d’ici 2050. « Le Passage du Nord-Ouest est toujours ouvert alors qu’auparavant, c’était une année sur deux » ajoute ce professeur au Département des sciences atmosphériques et océaniques de l’Université McGill. « Pour que cela redevienne occasionnel, et que l’Arctique conserve une banquise d’été, nous devons diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. »
L’équipe derrière cette étude a examiné la variation de la superficie et du volume des glaces de mer de l’Arctique au cours des dernières décennies. Les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés à la sensibilité de la glace de septembre à une quantité donnée d’émissions anthropiques de CO2 et à une quantité donnée de réchauffement planétaire.
Le phénomène de la couverture de glace qui augmente naturellement l’hiver et qui diminue naturellement l’été est très variable et dépend des années analysées. Pourtant, les chercheurs notent depuis deux décennies que la fonte de la glace arctique s’accélère. En analysant 40 modèles climatiques, ils ont conclu que la situation risquait d’empirer, particulièrement selon les scénarios qui tiennent pour acquises de fortes émissions de CO2 et de faibles politiques de protection du climat.
Le spécialiste de la glace océanique rapporte qu’il y a un rapport direct entre le CO2 de l’atmosphère et l’étendue des glaces. Pour chaque tonne de CO2, il y aurait une perte de glace se situant entre 1,37 m2 et 2,73 m2. Et pour chaque degré de réchauffement, un recul de 1,28 million à 4 millions de m2, selon l’étude.
Déjà, le Pr Tremblay avait été surpris en 1998 de la difficulté à trouver une épaisseur de 2 mètres lorsqu’il arpentait en été le nord de l’archipel canadien et la Mer de Beaufort. Mais « pour calculer de manière réaliste le déclin de la glace en Arctique, nous devons paramétrer avec précision » la sensibilité de la glace de mer avec la température moyenne globale des surfaces, « sans surestimer l’élévation du réchauffement ni la zone touchée par celui-ci. Ce qui n’est pas simple », convient le chercheur.
Par exemple, ces experts constatent que les « piscines d’eau bleutée» à la surface de la glace, ont un effet rapide et fort sur la perte de glace lorsque la neige fond. Plutôt que l’effet miroir attendu par l’étendue glacée, ces étendues plus sombres accélèrent cette fonte des glaces : la surface absorbe plus de rayonnement solaire.
Déjà, la disparition de la glace estivale affecte la survie des espèces locales, sans parler de la population du Nunavut, comme à Resolute Bay — 74 degrés de latitude nord— où l’équipe du Pr Tremblay fait son travail de terrain. « Ce qui est un peu paradoxal, c’est qu’il y a plus de recherches, maintenant qu’il y a moins de glace arctique », relève le chercheur qui reste cependant optimiste. « Si nous agissons pour le climat, nous pouvons encore changer les choses. Il nous faut rester sous la barre des 2 degrés. »
Une probabilité élevée de la quasi-disparition de la glace
La spécialiste canadienne en paléoclimatologie et professeure au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM, Anne de Vernal, qui n’a pas participé à l’étude, y a appris que la communauté scientifique poursuit ses efforts de modélisation de la glace de mer Arctique et que des progrès ont été réalisés pour évaluer les performances des modèles.
L’article, constate-t-elle, fait état d’incertitudes qui sont très larges avec le récent modèle climatique CMIP6. Et pourtant, malgré cela, « l’article fait part d’une probabilité élevée de la quasi-disparition de la glace de mer pérenne, pluriannuelle, dans l’océan Arctique avant 2050 ».
L’experte trouve également intéressante cette relation linéaire entre les émissions cumulées de CO2 et le couvert de glace de mer —à tout le moins de 1979 à 2014. « Si une telle relation peut être établie, elle est toutefois indirecte. J’aimerais bien connaître les relations de cause à effet qui l’expliquent et je serais aussi très curieuse de savoir si une telle relation s’applique avant 1979. »
Selon Anne de Vernal, ce qui manquerait à l’article serait une ou des hypothèses de travail pour expliquer et contrer l’échec des modèles à simuler simultanément la température globale et le couvert de glace de mer. « Il manque manifestement un ou des éléments pour résoudre numériquement le climat et il serait très utile de savoir quelles sont les pistes de recherche que suggèrent les auteurs », conclut l’experte.