Traiter les personnes atteintes de la COVID-19 avec le plasma sanguin des personnes qui ont guéri est-il la solution? Pour l’instant, l’état de la recherche ne permet pas de l’affirmer avec certitude, contrairement à ce qu’on a pu entendre depuis la fin-août.
Les faits
Le plasma est cette portion liquide du sang qui contient notamment des anticorps. Ceux-ci se développent naturellement à la suite d’une infection: ils font partie intégrante de notre réponse immunitaire face à un « ennemi ». On peut le constater lorsqu’on prélève du plasma chez un individu peu après le pic de sa maladie: ce plasma est riche en anticorps.
Dans le passé, l’injection de plasma dit « convalescent » a été utilisée pour tenter de lutter contre des maladies comme la grippe espagnole, Ebola et le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Bien que son efficacité ait été mitigée d’une épidémie à l’autre, l’hypothèse de départ a du sens: on fournirait ainsi des anticorps capables de neutraliser le virus à un malade qui en est dépourvu.
Le plasma convalescent a aussi comme avantage d’être à la fois peu coûteux et relativement facile à prélever et administrer.
L’origine de l’excitation
C’est pourquoi on fonde des espoirs sur ce traitement, dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Des espoirs qui, aux États-Unis, épicentre de l’épidémie dans le monde, ont été ravivés le 23 août lorsque Donald Trump a annoncé que la Food and Drug Administration (FDA) l’autorisait désormais — quelques jours à peine après qu’il ait reproché à cette même agence de se traîner les pieds dans son approbation.
Dans la communauté scientifique, cette décision est assimilée à une ingérence politique dans les activités de la FDA. En cause : des études préliminaires certes prometteuses, mais qui ne permettent pas de conclure sur l’efficacité du traitement.
Les bémols
Une étude américaine réalisée auprès de 5000 personnes aux prises avec une forme sévère de la COVID-19, et publiée en juin, conclut par exemple que la transfusion de plasma convalescent semble dénuée d’effets secondaires négatifs. Seul problème : l’absence de groupe contrôle pour comparer les résultats. Une autre étude, publiée en Chine une semaine plus tôt, avait été interrompue en cours de route parce que les chercheurs n’avaient noté aucun bénéfice significatif de l’administration de plasma sanguin. Mais elle portait sur un échantillon trop petit (103 personnes) pour autoriser un jugement définitif.
Autre exemple: cette étude (pré-publiée le 12 août mais pas encore révisée par les pairs) qui compare l’évolution de la maladie chez 35 000 patients ayant reçu du plasma plus ou moins riche en anticorps. Les résultats sont encourageants, mais difficiles à généraliser : l’échantillon n’ayant pas été randomisé, d’autres variables que celles étudiées peuvent avoir biaisé les résultats. Par exemple, certains malades admis aux soins intensifs pourraient avoir bénéficié de traitements de soutien, comme l’apport en oxygène.
Et il faut rappeler que même les études sur le plasma convalescent réalisées sur d’autres maladies virales que la Covid-19, comme Ebola et le SRAS, étaient peu convaincantes. Une méta-analyse sur le sujet publiée plus tôt cette année a été incapable de juger de manière définitive l’efficacité et la sécurité de ce traitement, en raison de la très faible qualité des données scientifiques disponibles. Les auteurs d’une autre méta-analyse publiée en 2015 arrivaient à une conclusion similaire.
La rareté d’essais cliniques randomisés et contrôlés — où les participants sont choisis au hasard, et où on peut comparer avec un groupe similaire qui n’a pas suivi le traitement — s’explique par le contexte: chaque fois, c’est dans l’urgence que le plasma convalescent a été utilisé. Face à une épidémie, voire une pandémie, les chercheurs sont pris de court et ne peuvent mettre en place un devis de recherche digne de ce nom. Quand ils le peuvent, comme dans le cas de l’étude pancanadienne en cours sur le plasma convalescent, les résultats tardent.
L’empressement aux États-Unis pour homologuer cette thérapie par anticorps peut être mis en parallèle avec la controverse de l’hydroxychloroquine, un traitement qui, là encore, avait été promu par le président Trump, malgré la pauvreté des données disponibles. Or, on sait aujourd’hui que ce médicament contre la malaria ne semble pas capable de réduire le taux de mortalité de la Covid-19, du moins dans le cas de patients hospitalisés avec des symptômes sévères. Une récente méta-analyse (passant en revue 29 recherches totalisant 33 000 personnes), parue le 26 août, laisse même penser que, pour de tels patients, le risque de mortalité serait plus élevé dans les groupes où l’hydroxychloroquine était associée avec l’azithromycine, un antibiotique.
De plus, dans le cas du plasma, une statistique utilisée erronément le 23 août à la Maison-Blanche a contribué aux soupçons d’ingérence politique: il avait alors été dit que le plasma sanguin aurait réduit le taux de mortalité de 35%. Or, vérification faite, cette statistique ne figure ni dans le document d’approbation de la FDA, ni dans l’étude (pré-publiée) de la clinique Mayo qui avait été citée en exemple. Le directeur de la FDA s’est excusé de l’erreur le lendemain dans un tweet, sans donner de détails sur les origines de l’erreur. La responsable des relations publiques de la FDA, embauchée une semaine plus tôt et décrite comme une militante de la droite conservatrice, a été mise à pied le 28 août.