Western, arts martiaux, démons, violence graphique et une touche de surréalisme se conjuguent pour faire du Shaolin Cowboy de Geof Darrow un véritable OVNI dans le paysage de la bande dessinée.
« Quelque part au milieu de nulle part, un jour avant hier et une semaine avant demain ». C’est sur cette phrase énigmatique que s’ouvre The Shaolin Cowboy, une bande dessinée complètement délirante dont il n’est vraiment pas évident de résumer l’intrigue. Pendant près de 200 pages, on assiste à la traversée du désert d’un homme bedonnant qui semble assez inoffensif de prime abord, mais se révèle une véritable machine à tuer. Sans plus d’explications ou de contexte, le Cowboy asiatique se retrouvera au cœur d’une baston épique où, maniant avec autant d’adresse le sabre, le fusil, les nunchakus ou la scie mécanique, il règlera leur compte à une centaine d’individus qu’il a déjà combattus dans le passé, à un crabe excellant dans l’art du jiu-jitsu qui cherche à venger les membres de sa famille mangés par le héros dans un buffet à volonté, ainsi qu’à trois démons anciens veillant sur un bébé aux mains ensanglantées ne cessant de répéter « À moi! », avant d’être avalé vivant par un gigantesque dinosaure portant une cité entière sur son dos. Hein?

Geof Darrow est un artiste ne respectant aucun des codes habituels de la bande dessinée, et avec The Shaolin Cowboy, il livre l’un des romans graphiques les plus déjantés de l’histoire de ce médium. À travers ses clins d’œil à la culture populaire (ce premier tome s’intitule d’ailleurs Start Trek) et une brutalité que ne dédaignerait pas Tarantino, il offre le miroir déformant d’une société fascinée par la violence. Genre de John Wayne bouddhiste chaussé d’une paire de Converse, le héros est un homme de peu de mots, mais son bourricot parlant, sorte de version sur l’acide de Jolly Jumper, ne cesse de philosopher sur tout et rien pour notre plus grand plaisir, avec des tirades comme « Je pense que l’unique contribution du rap aura été de trouver six mots nouveaux qui riment avec biatch, bite, pute ou nique ta mère », ou « Tu ne t’es jamais demandé pourquoi ils ont décidé de cloner des dinosaures? Moi, j’aurais cloné Robert Mitchum. Lui, il ne s’est jamais excusé de ce qu’il faisait. Au fond, c’est aussi un dinosaure, alors, pourquoi ne pas l’avoir cloné avec les autres? ».

Visuellement, The Shaolin Cowboy est un pur régal, et le coup de crayon incroyablement minutieux de Geof Darrow évoque celui du maître de la bande dessinée, Moebius. Des arabesques d’hémoglobine se détachant contre un ciel d’un bleu aveuglant traversent la plupart de ses cases, et le carnage aux proportions démesurées s’étale souvent sur plusieurs pages. Décapitations, homme fendu en deux, corbeau s’envolant avec une main ensanglantée dans son bec, pluies d’entrailles, nuées de mouches bourdonnant au-dessus des amas de cadavres, la boucherie est si explicite que l’un des protagonistes mettra même sa main sur sa bouche dans une scène pour s’empêcher de vomir. L’estomac du dinosaure, où le héros naviguera sur les sucs gastriques en utilisant une carcasse de vache en guise d’embarcation, propose une vision d’enfer digne de Jheronimus Bosch, et le grand format de cette édition, avec ses planches de 230 par 325 mm, permet d’apprécier pleinement la foule de petits détails dont regorge chaque illustration.
J’ignore si les deux autres volumes de cette trilogie fourniront plus d’explications sur les origines du héros et les raisons de son étrange périple, mais quoi qu’il en soit, les bédéphiles auront beaucoup de plaisir avec ce premier tome de The Shaolin Cowboy, un album hors-norme porté par des illustrations d’une immense virtuosité.
The Shaolin Cowboy, Tome 1: Start Trek, de Geof Darrow. Publié aux éditions Futuropolis, 200 pages.