Sept ans après la fin de sa série Long John Silver, Mathieu Lauffray continue de plus belle son exploration de l’univers des pirates avec Raven, une bande dessinée librement inspirée de la nouvelle Black Vulmea’s Vengeance de Robert E. Howard.
1666. La Jamaïque est tombée aux mains des Britanniques et partout, les nations se battent pour imposer commerce ou religion. À la recherche d’or et de gloire, Raven déteste les lois, l’autorité, et les aristocrates, avec ou sans perruques. Ayant miraculeusement survécu à la destruction du Flying Dragon après que son capitaine, un certain Black Vane, ait décidé d’attaquer un galion espagnol beaucoup plus puissant que son propre bateau, il est le seul des 300 membres d’équipage à regagner l’Île de la Tortue, le repaire des pirates écumant les mers des Caraïbes. Loin d’être accueilli en héros, il est plutôt perçu comme un oiseau de malheur, et à cause de sa mauvaise réputation, plus aucun flibustier ne veut s’associer à lui. Apprenant l’existence d’un fabuleux trésor caché à Morne au Diable, une île inhospitalière supposément peuplée de cannibales, Raven décide, bien qu’il ne possède ni compagnons ni navire, de tenter sa chance et de mettre la main sur le butin, mais il devra agir vite, puisque Lady Darksee, une corsaire considérée comme la « tigresse des tropiques », a elle aussi des visées sur le magot.
À l’image du Seigneur des anneaux pour la fantasy, on dirait que tous les codes des histoires de pirates ont été établis en 1883 par L’Île au trésor. Mathieu Lauffray s’est d’ailleurs fait connaître avec Long John Silver, une série continuant les aventures du célèbre personnage à la jambe de bois du roman de Robert Louis Stevenson, et le bédéiste poursuit son exploration de cet univers avec Raven, un album inspiré d’une nouvelle de Robert E. Howard, le créateur de Conan le Cimmérien. Tout en reprenant la plupart des clichés du genre (port d’attache des corsaires sur Tortuga, trésor enfoui sur une île dangereuse, ravissante fille du gouverneur, etc.), Lauffray apporte aussi sa touche personnelle, tout d’abord à travers son antihéros, qui déteste les contraintes au point de devenir persona non grata même parmi les hors-la-loi, mais également avec Lady Darksee, la capitaine de son propre bateau et une flibustière autant redoutée que n’importe quel bandit masculin, ce qui est plutôt rare.
Depuis le temps qu’il dessine des histoires de pirates, Mathieu Lauffray maîtrise à fond l’imagerie associée au genre, avec ses navires arborant le drapeau noir orné d’une tête de mort, ses capitaines édentés à la mine patibulaire, ses combats au sabre et ses bandits dont les yeux s’écarquillent de convoitise devant un trésor. Il utilise un procédé fort répandu dans les comics américains du « Silver Age » pour Raven, qui débute au beau milieu de l’action avant que le récit ne revienne quelques jours plus tôt afin de relater les événements ayant mené le héros dans cette fâcheuse position. Ses illustrations sont riches et spectaculaires, et il étale souvent sur deux pages ses panoramas grandioses, comme l’abordage d’un galion espagnol, un paysage majestueux de l’Île de la Tortue, ou l’éruption d’un volcan. Il oppose parfois les éléments, en plaçant par exemple un navire enflammé sur la mer, et sa palette, très aquatique, contient beaucoup de bleu, de turquoise, et de vert bouteille.
Sans trop s’éloigner des canons du genre, Mathieu Lauffray réussit à renouveler la classique histoire de pirates avec Raven, une bande dessinée proposant de la grande aventure, des antihéros synonymes de liberté, et une quête périlleuse à la recherche d’un trésor maudit.
Raven, Tome 1: Némésis, de Mathieu Lauffray. Publié aux éditions Dargaud, 56 pages.