Voies cyclables et piétonnières, terrasses dans les rues: ces changements sont-ils temporaires ou si la pandémie de coronavirus changera pour de bon le visage des villes? Le Détecteur de rumeurs a examiné comment les pandémies passées avaient influencé la planification urbaine.
Des villes plus propres
Les grandes métropoles ont vu leur développement influencé par les épidémies du passé; des historiens attribuent même l’émergence de la science de l’urbanisme aux maladies infectieuses des deux derniers siècles.
En effet, même s’il a fallu du temps avant qu’on ne comprenne que ces maladies étaient transmises par des microbes invisibles à l’œil nu, les mesures pour purifier ce qu’on appelait alors le « mauvais air » (les « miasmes ») ont eu des répercussions. Ainsi, l’épidémie de fièvre jaune à Philadelphie en 1793 aura donné naissance à son service d’aqueduc, donnant accès aux citoyens à de l’eau potable et débarrassant les rues des ordures, de la boue et des excréments. Londres implante de meilleures installations sanitaires au XIXe siècle, dont son réseau d’égout, après avoir été frappée par le choléra. À la même époque, la nouvelle ville de Toronto se dote de pouvoirs pour construire des trottoirs et ainsi éviter à ses citoyens de marcher dans les rues boueuses. Paris construit elle aussi des trottoirs, et déplace les caniveaux sur le côté des rues, plutôt qu’au centre. Les concepteurs de villes privilégieront des trames orthogonales ; les longues rues droites facilitent du coup l’approvisionnement de l’eau et l’évacuation des déchets, et évitent que les eaux usées s’accumulent ou stagnent.
À New York, dès le milieu du 19e siècle, le choléra et la malaria auront poussé la ville à implanter un meilleur système de transport public et à imposer des règlements sur la construction des logements — un phénomène qui s’accélère avec la tuberculose au début de 20e siècle. Avec l’exode rural et la croissance fulgurante du nombre d’ouvriers d’usines en ville, le surpeuplement des logements et la mauvaise ventilation favorisent la transmission des maladies. L’architecture de cette ville en restera marquée, notamment par la présence de cours intérieures et de puits d’aérations qui modifient l’apparence de plusieurs quartiers.
Des villes plus vertes
L’idée du « mauvais air » porteur de maladies, aussi incomplète qu’elle soit, a poussé les villes à mettre également l’accent sur la création de parcs et d’espaces verts. À New York et à Boston, les grands espaces comme Central Park se voulaient les « poumons de la ville », où les citadins pouvaient respirer de l’air « propre ». Ces parcs ont par ailleurs contribué à la santé des villes parce qu’ils étaient conçus adéquatement : terres bien drainées, cours d’eau non stagnants et installations sanitaires. L’un des grands architectes de ces parcs, Frederick Law Olmsted, a d’ailleurs travaillé pendant deux ans à la United State Sanitary Commission. Ces parcs ont aussi gagné en popularité lorsque la tuberculose a frappé les États-Unis au début du 20e siècle — puisque le traitement recommandé comprenait de l’air frais et du soleil.
À Paris, la construction de larges boulevards après l’épidémie de choléra était aussi une mesure de santé publique pensée pour « aérer » la ville.
Et le futur?
Rien ne garantit que l’actuelle pandémie provoquera autant de changements que les précédentes. Certes, en réponse à l’actuelle crise sanitaire, plusieurs villes ont fait la promotion de modes de transports actifs, élargissant les pistes cyclables, fermant les rues aux voitures ou aménageant plus de milieux de vie extérieurs. Vienne a construit un « parc de la distance » pour respecter la distanciation sociale. Mais il est trop tôt pour savoir si ces initiatives seront éphémères ou durables.
Par ailleurs, la crise a mis l’accent sur l’importance du local et de l’indépendance alimentaire. Des villes comme Singapour veulent encourager l’agriculture urbaine. La crise pourrait aussi représenter une occasion d’intégrer à l’aménagement urbain des actions pour le climat. Le bref ralentissement du marché immobilier aurait pu être pour certaines villes une occasion d’accélérer l’achat de terrains pour la construction de logements sociaux et abordables. Enfin, les citadins travaillant davantage de la maison, certains architectes se demandent déjà comment repenser des infrastructures urbaines pour promouvoir un style de vie plus local.
Certaines de ces idées étaient dans l’air depuis longtemps, mais la pandémie leur donne un souffle nouveau. Par exemple, les statistiques sur le coronavirus suggèrent que ce n’est pas tant la densité des villes qui facilite la transmission, mais plutôt l’entassement dans les logements. Par ailleurs, les villes (ou les communautés rurales) les plus vulnérables restent celles où l’accès à l’eau et aux équipements sanitaires est restreint.
Enfin, la biologie nous apprend que l’étalement urbain, en grugeant les milieux naturels, favorise le saut des maladies entre les espèces.
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