Pour les uns, Bill Gates a prédit la pandémie, ce qui prouve qu’il nous cache quelque chose. Pour les autres, personne n’aurait pu prévoir une crise sanitaire de cette ampleur. Le Détecteur de rumeurs explique pourquoi les deux affirmations sont fausses.
Il est certes exact que le milliardaire américain Bill Gates a plusieurs fois, au fil des années, prévenu des dangers que représenterait une pandémie. «Si quelque chose tue plus de 10 millions de personnes dans les prochaines décennies, ce sera probablement un virus hautement infectieux plutôt qu’une guerre», estimait-il par exemple dans une conférence TED donnée en 2015, où il s’inquiétait du manque d’investissements dans la prévention des épidémies. L’épidémie d’Ebola a pu être contenue en raison de la nature du virus qui ne se propage pas dans l’air, mais il pourrait en être autrement avec d’autres virus. «La prochaine fois, on pourrait ne pas être aussi chanceux. Il pourrait y avoir un virus où les gens infectés se sentent suffisamment en bonne santé pour prendre l’avion ou se rendre au supermarché», a-t-il dit.
Mais Bill Gates n’est pas le seul à avoir prévu le futur. Derrière la production du film américain Contagion (2011) qui a battu un record de visionnement ces derniers mois, on retrouve entre autres Jeff Skoll, un autre milliardaire américain qui investit dans les initiatives de préparation aux pandémies depuis plus d’une décennie. Selon le magazine Forbes, «alors que beaucoup ont vu dans ce film de la pure science-fiction, Skoll espérait que le film permettrait de rallier davantage de soutien au financement du Centre de contrôle des maladies, en plus de prévenir le monde des dangers d’une pandémie».
Plusieurs autres Cassandre ont élevé leurs voix au cours des années, des épidémiologistes comme Larry Brilliant et Michael Osterholm, jusqu’à la journaliste Laurie Garrett dans un reportage prophétique paru en 2005. Le magazine Québec Science publiait aussi, en octobre 2019, un article intitulé « Prêts pour la prochaine pandémie? », laquelle « se produira peut-être plus rapidement qu’on le pense ».
Des études scientifiques ont vu les dangers des coronavirus
Du côté de la recherche, on a souvent cité depuis le début de la pandémie une revue de la littérature publiée en 2007 et intitulée Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus as an Agent of Emerging and Reemerging Infection. C’était quatre ans après le SRAS – causé par un coronavirus similaire à celui qui nous frappe cette année — et cette analyse mettait en garde sur la résurgence probable d’une épidémie de coronavirus. Alors que le SRAS avait probablement eu pour origine des civettes dans des marchés d’animaux sauvages du Sud de la Chine, les auteurs entrevoyaient déjà la chauve-souris. «La présence d’un large réservoir du virus de type SARS-CoV chez les chauves-souris, combinée à la culture de consommation de mammifères exotiques dans le Sud de la Chine, est une bombe à retardement.», lisait-on dans ce texte.
En 2015, une étude de l’Institut de virologie de Wuhan, publiée dans le Virology Journal, alertait également sur la nécessité de surveiller les chauves-souris, le second plus grand groupe d’espèces mammifères. «Considérant que l’on sait que les chauves-souris sont porteuses de plus de coronavirus qu’aucune autre espèce, il est probable que le SARS-CoV et le MERS-CoV ne seront pas les seuls coronavirus provenant des chauves-souris à faire le saut entre espèces et à causer des infections chez l’homme », faisaient-ils valoir.
Des appels à une meilleure préparation ont été négligés
Au-delà du risque posé par les seuls coronavirus, l’idée plus générale que la planète doive mettre en place des stratégies pour parer à une pandémie, semble avoir bien été présente, mais peu écoutée.
Comme le suggérait le magazine Bloomberg en février, la COVID-19 pourrait être la fameuse Maladie X ou «Disease X» contre laquelle l’OMS appelait à la vigilance il y a deux ans. À travers ce concept, l’OMS appelait la communauté internationale à se préparer à l’émergence impromptue d’une maladie épidémique contre laquelle on ne disposerait ni de médicaments ni de vaccins. S’exprimant cette même année au Forum économique mondial, le directeur de l’OMS rappelait que le monde n’était pas à l’abri d’un tel scénario, alors même que plus de 3,5 milliards de personnes manquaient toujours d’accès à des soins de santé essentiels.
Toujours en 2018, des chercheurs du Johns Hopkins Centre for Health Security ont créé une simulation destinée à jauger la façon avec laquelle les gouvernements réagiraient à une pandémie. De cet exercice, surnommé Clade X, il est ressorti que le monde n’était pas prêt et qu’une telle catastrophe se solderait par 150 millions de morts. Dans le sillage de l’appel de l’OMS, le Centre Johns Hopkins s’inquiétait au terme de cet exercice du fait que «ni les États-Unis ni aucun autre pays au monde n’ont à ce jour de système en place capable de développer des vaccins ou des médicaments pour une telle maladie». Les chercheurs conseillaient également aux États-Unis d’améliorer leur système de santé ainsi que leur capacité de détection et de réponse aux épidémies, tout en œuvrant de concert avec l’OMS pour aider tous les pays à améliorer les leurs.
Côté canadien, dès 2006, la Conférence des premiers ministres de l’Ouest de 2006 appelait, dans un communiqué consacré à cette thématique, les ministres responsables de la préparation aux situations d’urgence à établir une réponse nationale. L’accélération du processus de développement de vaccins, l’approvisionnement et le maintien du stock d’antiviraux, figuraient parmi leurs préoccupations.
La même année était publié le volumineux Canadian Pandemic Influenza Plan for the Health Sector. Co-écrit par Theresa Tam, l’actuelle administratrice en chef de la santé publique du Canada et principale autorité scientifique fédérale dans la bataille contre la Covid-19, ce guide, destiné au secteur de la santé, visait à se préparer à une éventuelle pandémie, qu’on imaginait alors causée par une future grippe. Ce guide n’était pas une nouveauté: le Canada dispose d’un plan de gestion d’une pandémie de grippe depuis 1988. Mais plusieurs de ses prédictions ne sont pas sans rappeler la situation actuelle. On y lisait ainsi que le virus serait présent au Canada dans les 3 mois suivant son émergence à l’étranger, et que le premier pic de maladie pourrait survenir de 2 à 4 mois plus tard. Ce guide prévoyait également que la pandémie s’échelonnerait sur 12 à 18 mois et qu’elle surviendrait en au moins deux vagues, qui dureraient chacune de 6 à 8 semaines.
Selon le Globe and Mail, le sentiment d’urgence accordé à ce rapport s’est dilué dans le temps. «C’est une parmi une série de mises en gardes crédibles qui n’ont pas été entendues.» Le quotidien de Toronto ajoute qu’en 2010, un audit fédéral avait signalé des problèmes dans la gestion du stock d’urgence d’équipement médical, puis qu’en 2018, une évaluation rétrospective de l’épidémie de grippe H1N1, survenue une décennie plus tôt, s’était inquiétée des pénuries de respirateurs.
Plus récemment, à l’automne 2019, un rapport du Global Health Security Index avait tiré la sonnette d’alarme en soulignant, au terme d’une évaluation des services de santé de 195 pays, que la sécurité sanitaire nationale était particulièrement faible à travers le monde. Son titre était: Aucun pays n’est prêt à gérer une épidémie ou une pandémie.
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