Après nous avoir donné Grass Kings, un sombre polar sur la possession du territoire, Matt Kindt et Tyler Jenkins unissent à nouveau leurs forces pour Black Badge, une étonnante série où des scouts participent à des missions d’espionnage périlleuses à travers le monde.
Il ne manque plus qu’un seul badge à Willy, soit « l’insigne noir », pour devenir le premier scout de l’histoire à les posséder tous. À sa grande surprise, l’adolescent découvre que le Black Badge en question n’est pas qu’un simple écusson, mais bien une branche secrète des scouts, que le gouvernement utilise pour mener à bien des opérations délicates qu’aucun adulte ne pourrait accomplir. Après avoir joint cette division peu orthodoxe, Willy aura du mal à se faire accepter par les trois autres membres de son équipe, qui ne sont pas très chauds à l’idée d’accueillir un nouveau venu dans leurs rangs, mais au fil des missions dangereuses l’emmenant en Corée du Nord, en Sibérie ou en Afghanistan, le jeune homme commencera à douter que son organisation œuvre pour le bien, et en viendra même à croire qu’elle a été infiltrée par la Honour Society, un groupe anarchiste cherchant toutes les occasions de semer la violence et le chaos sur la planète.
De MIND MGMT à Dept. H, Matt Kindt nous a habitués à des bandes dessinées atypiques sortant des sentiers battus, et c’est encore le cas avec Black Badge, une série dans laquelle il fait de nouveau équipe avec son partenaire de Grass Kings, l’illustrateur Tyler Jenkins. Partant du concept « des scouts, mais pour de vrai », où des enfants dont personne ne se méfie sont entraînés dans les jeux mortels des adultes, l’album adopte un ton tout à fait sérieux malgré sa prémisse un peu farfelue, et met en scène la plupart des éléments habituellement associés aux récits d’espionnage, soit des intrigues internationales, des organisations aussi puissantes que mystérieuses, des agents doubles ou triples, ainsi que des complots menaçant l’ensemble de la planète. Incorporant des éléments historiques à sa fiction, comme l’attentat terroriste des Olympiques de Munich en 1972 ou la chute du mur de Berlin, le résultat évoque un improbable croisement entre Kingsman, Lord of the Flies, et la vénérable institution fondée par Robert Baden-Powell.
On reconnaît immédiatement le style visuel unique de Tyler Jenkins dans Black Badge, avec des arrière-plans à l’aquarelle où l’on distingue les coups de pinceau et des crayonnages flottants et organiques, où les lignes droites ondulent au lieu d’être tracées à la règle, mais l’album est davantage tourné vers l’action cette fois-ci, avec des émeutes sanglantes dans un goulag, des évasions en montgolfière, des explosions et des combats au corps-à-corps. Chaque chapitre débute par un document caviardé où seuls quelques mots sont visibles (exfiltration, Corée du Nord, poêle à frire, etc.), et comprend des extraits du manuel des Black Badge, des publicités pour les biscuits au C-4, ou une présentation des insignes que peuvent décrocher ces scouts de choc, comme les badges « explosifs ménagers », « armement improvisé », ou « torture aquatique ». L’album inclut l’intégrale de la série, soit douze numéros, ainsi qu’un carnet d’esquisses et une galerie de couvertures.
Avec cette histoire d’espionnage à hauteur d’enfants, Matt Kindt et Tyler Jenkins livrent une autre bande dessinée ne ressemblant à rien d’autre, et Black Badge est un album haut en couleur, qui vous tiendra en haleine de la première à la dernière page.
Black Badge, de Matt Kindt, Tyler Jenkins et Hilary Jenkins. Publié aux éditions Futuropolis, 336 pages.