Au-delà de son titre très évocateur, Dans mon village, on mangeait des chats est un bande dessinée coup de poing, qui relate avec beaucoup d’humanité le parcours initiatique d’un jeune garçon dans le monde du crime organisé.
Charon est à la fois boucher et maire de la petite municipalité de Saïx, et les gens viennent d’un peu partout pour goûter à ses fameux pâtés à l’ancienne. Un soir, alors qu’il observe les étoiles avec sa petite sœur Lily, le jeune Jacques Pujol, fils d’une prostituée et d’un père alcoolique et violent, entend des miaulements au loin, et aperçoit le notable en train d’appâter et de capturer des chats dans un grand sac. Dans les jours suivants, le garçon de treize ans multiplie les sous-entendus pour faire comprendre au boucher qu’il connaît son terrible secret. Craignant d’être exposé, Charon le soudoie et l’engage comme apprenti dans l’espoir de le faire taire puis tente de l’assassiner, mais c’est plutôt lui qui succombera sous les coups de couteau de l’adolescent, qui incendie sa demeure pour camoufler le meurtre. Ce triste incident entraînera Jacques dans une spirale criminelle, qui le verra devenir l’un des plus gros caïds de la ville de Toulouse.
La bande dessinée Dans mon village, on mangeait des chats utilise l’anecdote répugnante d’un boucher faisant bouffer de la viande féline à ses concitoyens comme point de départ pour raconter l’histoire tragique d’un adolescent qui se taillera une place dans le monde interlope, et dépeindre au passage le quotidien des institutions pour jeunes délinquants dans la France des années 1970. Moralement ambigu, le personnage de Jacques Pujol est toutefois très intéressant, puisqu’il fait preuve d’intelligence et de débrouillardise pour s’extirper de la misère dans laquelle il est né, au lieu d’être une simple victime du sort. Sombre et percutant, le récit est fichtrement bien écrit et se pare d’une touche de poésie, avec des phrases puissantes comme « Les gens sont prêts à acheter de la merde, si elle est bien emballée », ou « Tout ce qui est rare est cher. C’est pour ça que la connerie c’est donné à tout le monde, parce que c’est gratuit ».
À l’instar de son jeune héros, les dessins de Porcel sont énergiques et bruts, et l’artiste préfère souvent laisser parler ses images, sans avoir recours aux phylactères. D’un trait fougueux où le feutre et le fusain se marient, il transmet des émotions fortes sur les visages de ses protagonistes en quelques lignes à peine. Esquissant aussi bien les paysages pittoresques que le monde du crime organisé, l’illustrateur fait preuve de pudeur, en suggérant la violence plutôt que la montrer. On voit par exemple le couteau du boucher sur le point de s’abattre sur la nuque d’un chat, mais pas le coup mortel. Son découpage très habile de l’action augmente de beaucoup le côté dramatique de chaque case, et sa coloration rétro, composée de beige, de marron, de châtaigne, de bourgogne et de caca d’oie, donne un style unique à ses planches, tout en recréant l’ambiance des années 1970.
Fable cruelle sur cette enfance qui influence à jamais la vie adulte et sur le quotidien des jeunes délinquants dans les institutions de l’État, Dans mon village, on mangeait des chats propose une histoire criminelle différente et touchante, dont la tragédie hante le lecteur longtemps après avoir refermé l’album.
Dans mon village, on mangeait des chats, de Philippe Pelaez et Porcel. Publié aux éditions Grand Angle, 56 pages.
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