Comme toujours chez Daniel Roby, l’ambition ne manque décidément pas. L’intérêt, lui? C’est toutefois une autre histoire. Dommage, puisque Target Number One représente un retour à l’écriture pour ce cinéaste qui s’est fait ami des genres et des époques dans les dernières années, américanisant le cinéma francophone pour finalement livrer ici son premier film presque entièrement dans la langue de Shakespeare. Une histoire très canadienne, cela étant dit.
Tout droit sorti de Dans la brume, son thriller humain français avec Romain Duris et Olga Kuryenko, qui s’amusait avec les codes du film catastrophe, Daniel Roby ne veut pas laisser de répit au spectateur, et s’il essaie encore de tout centrer sur la force de ses personnages, le voyage dans le temps que propose son plus récent long-métrage est beaucoup moins intéressé par la reconstitution d’époque que d’autres de ses créations.
Voulant remettre les pendules à l’heure et afficher au grand jour un scandale de taille de nos autorités, le film se donne certainement des airs de Spotlight, mais son virage vers Argo est encore moins clément envers les Canadiens que ne l’était le film de Ben Affleck.
En effet, il faut bien que ce soit un film fait par un Québécois pour dépeindre la majorité des personnages anglophones comme démontrant aussi peu de scrupules. Pas de clichés du citoyen trop poli et gentil ici, pas même pour le journaliste Victor Malarek, qui vit certainement le rêve en se voyant incarné par nul autre que Josh Hartnett, l’effet Hollywood oblige.
Entêté et poussif, il est prêt à tout pour faire éclater la vérité, coûte que coûte, envoyant au diable le système et les procédures. À la recherche de la prochaine grande Une journalistique, il s’intéresse alors au destin d’un Québécois, Alain Olivier devenu Daniel Léger dans le film, un junkie sans histoire mis en faute par notre gouvernement avide de faire brasser les choses en Thaïlande, où le marché de la drogue s’avère particulièrement foisonnant.
Des airs de déjà vu? Probablement. N’en déplaise à ce petit film choral qui essaie de jouer habilement sur la narration parallèle – l’efficacité du montage de Yvann Thibaudeau n’est certainement pas à nier – c’est un suspense historique assez classique qui nous est raconté, avec cette touche télévisuelle qui pourrait s’apparenter à la finale de saison d’une série télévisée. C’est également un terrain fort familier à peine quelques mois après Mafia Inc. qui s’amusait encore plus librement avec la réalité. Aucune surprise que les deux projets soient reliés par plusieurs des mêmes producteurs.
Si la deuxième partie plus palpitante rachète quelque peu la première, on doit toutefois admettre que la mise en bouche s’étire longuement. D’autant plus que l’œuvre dépasse les deux heures et que malgré les mises en contexte de tous, on ne se sent pas plus impliqués par les divers destins mis en danger. Si les acteurs sont certainement dévoués, aucun n’est particulièrement attachant ni ne donne envie de s’intéresser nécessairement à sa cause. Certes ils sont tous en quête d’une certaine rédemption voir d’un succès, mais les relations amoureuses sont certainement moins convaincantes que dans Louis Cyr: l’homme le plus fort du monde, l’absence de personnages féminins forts en faisant foi, et l’aspect trop dénonciateur de l’entreprise qui réussit mal ses efforts d’objectivité est moins fluide que dans Funkytown, également.
Avec retenue, néanmoins, Antoine Olivier Pilon continue d’assurer et se montre certainement habile en anglais, plus crédible que Josh Hartnett qui dans ce rôle particulièrement sérieux et mature n’arrive pas avec le plus grand succès à faire oublier toutes ses années à jouer le tombeur de ses dames, ce malgré ses nombreux efforts dans les dernières années à varier judicieusement la nature de ses projets.
Du côté de Jim Gaffigan qui comme une majorité d’interprètes reconnus pour un registre d’avantage comique essaie régulièrement d’enrichir sa portée, il se tire sans plus ni moins avec ce rôle plutôt anonyme et tout compte fait inconséquent.
Target Number One raconte alors une histoire somme toutes importante. Une leçon de foi et de courage qui rappelle à certaines mesures Unbroken de Angelina Jolie et un combat de type David contre Goliath qui essaie de rappeler à tout un chacun de toujours rester sur ses gardes et que les injustices et les abus de pouvoir se retrouvent partout. Le film est efficace à ses heures et certainement compétent, bien pimenté par ce tournage international qui se joue bien des différents environnements et par les compositions tantôt orchestrale tantôt plus rythmée de Éloi Painchaud et la collaboration de Jorane et Jean-Phi Goncalves, tout comme par de grandes chansons qui ont certainement coûté un bon montant (Phil Collins et New Order, quand même!).
On se désole alors que l’ensemble ne soit pas relevé par un petit je-ne-sais-quoi qui aurait pu offrir au film une véritable raison d’être, un réel souffle cinématographique pour en faire une œuvre marquante et provocante, comme l’aurait mérité une telle histoire.
5/10
Target Number One prend l’affiche en salles ce vendredi 10 juillet.