Il n’y a pas à dire, l’auteur George R. R. Martin a toujours excellé à créer un univers s’appuyant sur de complexes fondations « historiques »: les romans de la série A Song of Ice and Fire, mieux connus sous l’appellation Game of Thrones, regorgent en effet de détails qui permettent de mieux comprendre les intrigues, les guerres et les prophéties de Westeros et d’Essos. Voilà qu’avec Fire and Blood, les amateurs revivront les trois siècles de règne Targaryen.
Présenté sous la forme d’une chronique rédigée probablement après la chute d’Aerys, deuxième du nom, surnommé le roi fou, une chute qui entraîna éventuellement les événements racontés dans les principaux romans, Fire and Blood remonte à Ageon le conquérant, tout premier roi Targaryen qui réussit à unir les sept royaumes de Westeros (enfin, avec certaines spécificités), et s’attarde à divers événements qui ont marqué ces trois siècles d’existence du continent. Enfin, une bonne partie de ces trois siècles.
De part sa structure, voire son objectif même, cette oeuvre de George R. R. Martin n’est pas un roman ordinaire. Pas question, donc, de l’insérer quelque part dans la trame des cinq romans déjà parus – les volumes six et sept se font toujours attendre, bien entendu, même si l’adaptation télévisuelle sur HBO a disposé de suffisamment de temps pour transposer huit saisons sur neuf années entre le moment où l’auteur a publié A Dance of Dragons, et l’instant présent.
Bien entendu, George R. R. Martin a publié deux ou trois livres pour « bonifier » son univers, notamment un recueil de cartes et Fire and Blood, mais on a parfois l’impression que l’auteur temporise, tente d’ajouter un peu de « fla fla » à un monde qui est pourtant déjà excessivement riche. Si riche, en fait, qu’un nombre incalculable de messages publiés en ligne, de site web, ou encore de chaînes YouTube sont consacrés uniquement à décortiquer les informations contenues dans les romans, à tenter de les mettre en contexte, et à résoudre les nombreux mystères qui y sont éparpillés.
Trône, dragons et ambition
Revenons cependant à nos moutons: cette fois encore, George R. R. Martin ressort sa plume et sa verve habituelles pour nous parler de rois, de seigneurs, de crises politiques, économiques, militaires et religieuses. Et l’auteur sait comment s’y prendre pour articuler tous les aspects de ce qui a fait le succès de sa série principale. Pourtant, et même si l’on découvre généralement avec un plaisir renouvelé les faits et gestes des acteurs de l’histoire dont on avait seulement entendu les noms dans les romans, ou encore dans la série télévisée, quelque chose ne fonctionne pas, ou plutôt ne fonctionne pas comme il devrait fonctionner.
La source de ce problème, c’est cette volonté de décrire quelque 150 ans d’histoire en quelques centaines de pages. Car oui, Fire and Blood ne couvre « que » la première moitié des 300 ans de règne Targaryen sur Westeros. L’auteur nous promet un deuxième tome, mais s’il faut se fier à la ponctualité de M. Martin, il est fort possible qu’une décennie s’écoule avant que le livre ne voit le jour… s’il voit le jour. Les amateurs de la série aiment affirmer que l’auteur pourrait bien mourir avant de terminer sa saga, et près de 30 ans après la publication d’A Game of Thrones, le premier tome de la série, cette prédiction quelque peu cynique a toujours plus de chances de se réaliser.
Fire and Blood nous jette donc à la tête des dizaines et des dizaines de personnages et de noms de maisons nobles. Il y a les noms connus, bien sûr, les Tyrell, les Stark, les Lannister, etc., mais autrement, tout va trop vite pour que l’on puisse suivre correctement. Pire encore, le lecteur est généralement incapable de s’attacher aux personnages avant que ceux-ci ne soient avalés par les rouages de l’histoire. Le succès de la série originale repose pourtant sur les liens établis avec les principaux personnages. N’y aurait-il pas eu moyen de publier une série de nouvelles, peut-être, qui se dérouleraient à divers moments de l’histoire du règne des Targaryen, plutôt que de produire ce pavé parfois indigeste?
Pour les amateurs finis de George R. R. Martin, Fire and Blood demeure un ajout intéressant à une collection. Mais autrement, mieux vaut se concentrer sur les romans principaux, et peut-être oublier le reste…
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