Les campagnes visant à planter un très grand nombre d’arbres pourraient se retourner contre leurs instigateurs, selon une nouvelle étude qui est la première à se pencher sur les effets potentiels des subventions dans le cadre de telles démarches.
L’analyse, publiée dans Nature Sustainability, révèle comment des programmes du genre, comme la campagne Trillion Trees (1000 milliards d’arbres) et une initiative similaire faisant présentement l’objet d’un examen de la part du Congrès américain pourraient entraîner la diminution de la biodiversité, tout en apportant peu ou pas d’avantages en matière de lutte aux changements climatiques. Les chercheurs soulignent cependant que ces efforts pourraient avoir d’importants avantages s’ils sont accompagnés de restrictions strictes, notamment l’interdiction de remplacer des forêts natives par des plantations.
« Si les politiques visant à favoriser la plantation d’arbres sont mal conçues ou mal appliquées, il existe un risque élevé de non seulement gaspiller l’argent public, mais aussi de relâcher davantage de carbone dans l’atmosphère et de contribuer à la dégradation de la biodiversité », mentionne le coauteur de l’étude, Eric Lambin, professeur à l’Université Standford. « Voilà exactement l’inverse de ce que ces politiques visent à accomplir. »
Il n’y a aucun doute que les forêts ont joué un rôle majeur dans les efforts pour combattre l’effritement de la biodiversité et les changements climatiques en stockant du carbone sous forme de biomasse. Il est donc logique que le fait de planter des arbres, dans le contexte, ait gagné en popularité ces dernières années, avec de nombreux engagements en ce sens, y compris la campagne du 1000 milliard d’arbres, qui vise littéralement à planter autant d’arbres que son nom l’indique.
Mais si l’on regarde tout cela de plus près, des problèmes apparaissent. Par exemple, 80% des engagements en vertu du Défi de Bonn, une autre initiative, impliquent de planter une seule espèce d’arbre, ou un mélange limité d’essences qui produisent des fruits, par exemple, ou encore du caoutchouc, plutôt que de restaurer des forêts naturelles. Les plantations ont généralement moins de potentiel de séquestration du carbone, de création d’habitats et de contrôle de l’érosion que les forêts naturelles. Les avantages potentiels diminuent davantage si les arbres plantés remplacent les forêts naturelles, les plaines herbues ou encore les savanes, soit des écosystèmes qui ont évolué pour soutenir une biodiversité locale et unique.
Les subventions au pilori
Dans la nouvelle étude, les chercheurs ont aussi examiné un autre aspect de ces démarches pour planter un grand nombre d’arbres: les subventions conçues pour encourager les propriétaires privés à planter des arbres. De tels paiements sont largement suggérés comme étant une solution prometteuse pour surmonter une série de défis environnementaux. Pour mieux comprendre les avantages et les inconvénients de cette méthode, les scientifiques ont examiné une loi chilienne, en vigueur de 1974 à 2012, et qui pourrait de nouveau entrer en vigueur. Ladite loi a servi de modèle dans plusieurs autres pays d’Amérique du Sud, ainsi qu’ailleurs dans le monde.
« Dans la foulée de l’enthousiasme mondial pour planter 1000 milliards d’arbres, il est important de réfléchir à l’impact des précédentes politiques », mentionne le principal auteur de l’étude, Robert Heilwayr. « L’expérience chilienne peut nous aider à comprendre les impacts climatiques, environnementaux et économiques qui pourraient survenir lorsque les gouvernements paient les propriétaires pour concevoir des plantations d’arbres massives. »
La loi en question a subventionné 75% des coûts de la plantation d’arbres et a permis d’obtenir de l’aide pour la gestion des forêts. Une application laxiste de la loi et des limites budgétaires ont mis à mal des interdictions entourant l’utilisation des subsides sur les terres déjà forestières, ce qui a entraîné des situations lors desquelles le gouvernement a financé le remplacement de forêts natives par des plantations plus rentables. Pire encore, le couvert forestier a été réduit en raison de la plantation d’arbres sur des terres où il existait déjà des buissons, par exemple, ou à des endroits où la forêt naturelle aurait aisément pu se régénérer d’elle-même.
Selon les chercheurs, leurs travaux ont démontré qu’en comparaison avec un scénario sans subventions, les paiements destinés à garantir la plantation d’arbres ont permis d’étendre le couvert forestier, mais ont réduit la taille des forêts naturelles. Puisque les forêts naturelles du Chili stockaient le carbone plus densément, en plus d’être plus diversifiées, les subventions n’ont pas permis d’accroître le stockage de carbone, en plus d’accélérer la perte de la biodiversité.
« Les nations devraient concevoir et faire appliquer leurs politiques en matières de subventions au reboisement pour éviter les impacts environnementaux indésirables qui ont découlé du programme chilien », a indiqué l’autre coauteur de l’étude, Cristian Echeverria, professeur à l’Université de Concepcion, au Chili.