Les villes contemporaines, de Denver à Dubaï, pourraient apprendre une chose ou deux de la part des communautés Pueblo qui émaillaient autrefois le sud-ouest des États-Unis. Y compris le fait que plus les gens sont nombreux en un seul endroit, meilleures sont les conditions de vie.
Cette conclusion découle d’une étude publiée la semaine dernière dans Science Advances par une équipe menée par Scott Ortman, un archéologue de l’Université du Colorado à Boulder. Il fait partie d’un groupe croissant de scientifiques qui estiment que le passé de notre planète pourrait détenir la clé de notre avenir. Quelles leçons peut-on tirer, aujourd’hui, des réussites et des échecs de civilisations ayant vécu il y a des centaines, voire des milliers d’années?
Récemment, M. Ortman et Jose Lobo, de l’Université d’État de l’Arizona, se sont plongés dans des données à propos des nombreuses villes agricoles que l’on trouvait dans la vallée du fleuve Rio Grande entre les 14e et 16e siècles. Les villes contemporaines devraient prendre des notes: alors que les villages Pueblo prenaient de l’expansion et se densifiaient, la production de nourriture et d’autres biens par habitant a semblé augmenter.
Des rues animées, en quelque sorte, pourraient mener à des citoyens plus heureux.
« Nous constatons un accroissement en fonction de l’échelle », mentionne M. Ortman. « Plus les gens travaillent de concert, plus ils produisent par personne. »
Si le même phénomène se produirait aujourd’hui fait toujours l’objet d’un questionnement, notamment dans la foulée de l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les villes et les humains vivant à proximité les uns des autres. Mais les résultats obtenus dans le Sud-Ouest américain portent à croire que l’idée vaut la peine d’être testée.
« Les données archéologiques peuvent nous aider à apprendre sur des enjeux d’aujourd’hui, et ce d’une façon impossible si l’on s’appuie uniquement sur les données contemporaines disponibles de nos jours », soutient M. Ortman.
Poursuivre un travail centenaire
Toujours selon M. Ortman, cette nouvelle étude s’inscrit dans le contexte d’une étude plus vaste s’intéressant aux tendances en matière de croissance allant du monde romain à la civilisation inca.
Il s’agit d’une tentative pour donner suite à une idée d’abord proposée au 18e siècle par Adam Smith, souvent considéré comme le père des sciences économiques modernes. Dans The Wealth of Nations, M. Smith vend l’idée des avantages en fonction de la taille d’un marché: s’il est plus facile d’effectuer des échanges commerciaux, l’économie prendra de l’ampleur.
Cela vaut aussi pour une ville contemporaine, où un salon de coiffure peut tout à fait se trouver aux côtés d’une boulangerie, ou encore d’un commerce de toilettage pour chine. « Lorsque les gens interagissent plus fréquemment, un individu peut produire moins sur une base individuelle et obtenir davantage à l’aide de leurs contrats sociaux », avance M. Ortman.
Le problème, dit-il, est qu’une croissance s’appuyant à ce point sur l’agglomération des gens est difficile à isolée dans les villes contemporaines, qui sont beaucoup plus complexes. Ce qui n’est pas vrai pour les villages de la vallée du Rio Grande.
Avant l’arrivée des Espagnols, au 16e siècle, des centaines de villages constellaient la région entourant ce qui est aujourd’hui la ville de Santa Fe. Ces agglomérations allaient de hameaux de quelques dizaines de résidents à des villes regroupant jusqu’à 3000 personnes, dont la majorité gagnait leur vie en faisant pousser des plantes comme le maïs et le coton.
Une telle vie basée sur l’économie de subsistance ne veut pas dire que ces communautés étaient simples.
« La vision traditionnelle de l’histoire ancienne est que la croissance économique n’est pas arrivée avant l’aube de la révolution industrielle », rappelle M. Ortman.
En compagnie de son collègue, le chercheur a décidé de tester cette hypothèse. Le duo a fouillé quantité d’archives sur les découvertes archéologiques dans la région, et a découvert une tendance claire: lorsque les villages voyaient leur population augmenter, leurs résidents se portaient mieux, en moyenne, comme l’avait prédit Adam Smith. Les espaces de vie ont crû et les familles recueillaient davantage de poterie.
« Vous pouvez voir cela comme le fait de posséder davantage de vaisselle pour partager des repas en groupe », précise M. Ortman.
Une connexion sociale
Cette croissance, a découvert l’équipe de recherche, semble aussi suivre une tendance déjà constatée chez diverses civilisations à travers l’histoire. Chaque fois qu’un village doublait de taille, les indicateurs économiques enregistraient une croissance de 16%, en moyenne.
Pour les chercheurs, toutefois, cet effet ne se manifeste pas de la même façon partout. Des facteurs comme les inégalités et le racisme, par exemple, peuvent empêcher les résidents urbains de travailler de concert, même lorsqu’ils vivent dans des espaces de petite taille.
Mais les communautés Pueblo ont une leçon importante pour les villes contemporaines, soutient M. Ortman: plus les gens établissent des connexions entre eux, plus il deviennent prospères.
« Toutes autres choses étant égales par ailleurs, l’urbanisation devrait augmenter les conditions de vie matérielle pour les gens de tous les pays », a-t-il dit. « Nous croyons que c’est pour cela que la planète continue de s’urbaniser, malgré tous les problèmes qui y sont associés. »