Avec Les deux vies de Pénélope, Judith Vanistendael livre un récit mi-figue mi-raisin à propos d’une chirurgienne dont l’engagement humanitaire, fort louable, se fait cependant au détriment de sa propre famille.
Lors des dix dernières années, Pénélope, une chirurgienne œuvrant pour une organisation humanitaire, a effectué par moins de trente-deux missions dans des pays ravagés par la guerre. Elle est si souvent absente de la maison qu’Otto, son mari, et sa fille de treize ans, Hélène, ne l’attendent même plus. Bien qu’elle soit habituellement capable de laisser les horreurs de son travail hors du foyer familial, son retour au bercail est particulièrement pénible cette fois-ci, alors que le fantôme ensanglanté d’une adolescente qu’elle n’a pas réussi à sauver à Alep l’a suivie jusque chez elle à Bruxelles. Se sentant de plus en plus impuissante face aux conflits qui ravagent le monde et trouvant difficile d’incorporer une famille dont les problèmes lui semblent bien superficiels en comparaison, Pénélope saura-t-elle trouver sa place, et réconcilier les deux mondes bien différents dans lesquels elle évolue?
La plupart du temps, les créateurs tentent de montrer leurs personnages sous leur meilleur jour, mais Judith Vanistendael fait preuve d’une honnêteté déconcertante dans Les deux vies de Pénélope. Traçant des parallèles avec l’épouse d’Ulysse, qui attendit son mari pendant près de vingt ans, l’auteure renverse ici les rôles, mais bien que le dévouement de cette femme engagée dans des actions humanitaires soit admirable, il est difficile de s’attacher à cette mère de famille qui semble davantage préoccupée par le sort des enfants de la guerre que celui de sa propre fille, et au final, on a l’impression que Pénélope cherche surtout à fuir les siens. S’il ne porte aucun jugement de valeur, le récit n’offre non plus aucune forme de résolution, et la conclusion laissera plusieurs lecteurs sur leur faim, alors que la situation demeure exactement la même à la fin qu’au début de l’histoire.
Autant par son sujet que son approche visuelle, Les deux vies de Pénélope est plus près du roman graphique que de la bande dessinée. Affichant toute la spontanéité et le côté brouillon des coups de pinceau sur la feuille, les illustrations sont effectuées à l’aquarelle, avec seulement quelques éléments tracés au feutre ici et là, et flottent librement sur la page, sans recours aux cases. Elle divise parfois ses planches à l’horizontale, montrant en parallèle les premières menstruations de sa fille à Bruxelles et le sang des victimes dans les salles d’opération de Syrie. Ses images intimistes et colorées atténuent la violence de certaines scènes sans pour autant diminuer la force de son propos, et ses dessins un peu brouillons, avec leurs coloriages dépassant des lignes, ne manquent toutefois pas de style.
Traitant autant de l’égalité homme/femme que de l’engagement personnel ou du stress post-traumatique, Les deux vies de Pénélope est un album profondément humain qui, sans jamais prendre parti, invite le lecteur à la réflexion.
Les deux vies de Pénélope, de Judith Vanistendael. Publié aux éditions Le Lombard, 160 pages.