L’interruption de la vie économique tout autour de la planète a eu une influence notable sur la pollution de l’air, comme le rappellent ces images de ciels bleus des villes et de joyaux naturels redécouverts, partagés récemment sur les réseaux sociaux. Mais pour les émissions de CO2, ce n’est pas aussi net.
« On voit l’impact que nous avons sur la nature, lorsque les citoyens redécouvrent combien est magnifique la chaîne de l’Everest », relève le professeur de géomatique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Alain Royer.
En revanche, sa récente analyse montre que si les crises majeures qui ébranlent l’économie forcent un ralentissement des émissions des GES, cela ne freine pas la progression globale. En 30 ans, les émissions humaines ont presque doublé, passant de 5,5 gigatonnes de carbone par an (GtC/an) en 1986 à 10 GtC/an en 2019.
L’expert en climatologie et changements globaux relève un effet de balancier plus ou moins prononcé pendant les huit crises économiques et politiques majeures sur lesquelles il s’est penché: le krach boursier de 1987, la Guerre du Golfe (1990), la crise asiatique (1997-98), la bulle techno de 2000, la crise du crédit de 2009, la crise de la dette européenne (2011-12), celle du marché chinois (2015), la volatilité des marchés boursiers de 2018.
Dans sept des huit crises, on observe bel et bien un ralentissement des émissions de CO2. Mais ensuite, « on a un effet rebond et cela repart plus fort qu’avant la crise. C’est pourquoi, pour bien voir l’effet climatique qu’une crise peut avoir, il faut regarder l’équation entière des émissions humaines », précise le géophysicien.
Il faut aussi prendre en compte la capacité d’absorption naturelle des émissions des GES qu’a la planète —dont les forêts et les océans. Une modulation dont l’efficacité dépend du climat car plus il se réchauffe, plus la capacité à absorber ces émissions varie. Ce qui pourrait masquer ou accentuer l’effet des crises.
Qu’en sera-t-il de la pandémie? C’est un peu tôt pour le dire, mais on constate un léger ralentissement des émissions de CO2 pour les deux derniers mois —c’est-à-dire toutes les émissions de CO2, celles d’origine naturelle et celles d’origine humaine. « Je remarque un plateau et également un léger décalage du pic d’émission liée au printemps – dû à l’effet de la photosynthèse. C’est stable en avril alors que cela aurait dû monter », explique le Pr Royer.
Il faut noter qu’en avril, l’Agence internationale de l’énergie estimait que le confinement mondial entraînerait une baisse de 8% des émissions de GES d’origine humaine pour l’ensemble de l’année 2020.
Alain Royer s’attend à un nouveau rebond après le déconfinement: selon ses observations, dans cinq des huit crises, c’est reparti encore plus fort qu’avant.
« En relançant l’économie, je souhaite que cette relance soit la plus verte possible. Nous avons vu que nous sommes capables de changer nos habitudes – de laisser la voiture au garage, de prendre le vélo, faire une part au télétravail. C’est global, tout comme les changements climatiques qui touchent tout le monde, mais plus particulièrement les plus vulnérables. À nous d’agir là-dessus », soutient le Pr Royer.
Ce que nous apprennent les crises, c’est la possibilité de reprendre du pouvoir sur nos vies en réinvestissant, par exemple, dans une politique de transports en commun et dans la production locale de nourriture qui génèrent moins d’émissions de GES.
Influencer les retours de crise
Normand Mousseau, professeur de physique à l’Université de Montréal et directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier, pense que ce qu’on lit dans cette étude, « c’est que l’effet rebond au sortir des crises est important et cela confirme que rien n’est gagné, ce qui est intéressant».
Ce qu’il trouve intéressant, et pas vraiment discuté dans l’article, c’est « le fait que les pentes dans la croissance du CO2 changent souvent radicalement après les crises. Ça montre qu’on ne reprend pas où on était, mais que la société se modifie. Chaque retour de crise apporte des changements significatifs, toutefois, ceux-ci n’induisent pas nécessairement des réductions des émissions de GES. Il y a un effet durable assez fascinent qui montre que si on joue sur certains leviers, il est possible de ré-enligner la tendance et donc, il faut planifier et mieux orienter le retour de crise ».