Au début du confinement, c’était la course folle pour se constituer des réserves de papier de toilette. Et bien qu’il ait été dit plusieurs fois que le Québec n’a pas à craindre une pénurie de cet or blanc, les tablettes des magasins sont souvent vides encore aujourd’hui, constate le Détecteur de rumeurs.
Au Canada, les principaux fabricants de papier hygiénique sont deux papetières québécoises, Cascades et Kruger. La division Produits Kruger fabrique notamment le papier des marques Cashmere et White Swan, et produit six millions de rouleaux de papier par jour, soit le tiers de tout le papier de toilette consommé au Canada.
Dans un cas comme dans l’autre, les deux papetières ont affirmé être amplement capables de répondre à la demande. « À ce jour, nos activités n’ont pas été perturbées de façon significative par la pandémie et nos installations continuent de fonctionner à plein régime, malgré les défis posés par la situation actuelle », peut-on lire sur la page d’accueil du site Web de Cascades.
Quant à Produits Kruger, son vice-président et directeur des produits de consommation, Michel Manseau, explique que les usines roulent sept jours par semaine, et 24 h sur 24, pour fournir plus de produits et maintenir un approvisionnement régulier. « Nous devons simplement nous adapter à cette forte demande pour nos produits », dit-il. Kruger a depuis longtemps élaboré des protocoles de pandémie pour répondre à une soudaine hausse de demande de produits hygiéniques, comme cela s’est notamment produit lors des pandémies du SRAS et de la grippe H1N1. « Notre matière première provient principalement d’ici, et aussi de l’Amérique du Sud. Nous avions des réserves », explique M. Manseau. L’entreprise met en ce moment sur la route jusqu’à 300 camions par jour pour approvisionner les détaillants en rouleaux de papier de toilette.
Mais s’il y a eu pénurie dans les supermarchés au début du confinement, ce n’est pas seulement à cause d’achats compulsifs. C’est aussi parce que l’industrie n’était pas prête à une hausse aussi rapide de la demande de la consommation domestique, qui ne représente qu’un de ses deux axes de production.
Utilisation personnelle versus commerciale
Quand on parle de papier de toilette en effet, il existe une réalité méconnue: il y a deux types de papier, chacun avec sa chaîne de production. L’une est destinée aux rouleaux qui s’en vont dans les maisons et l’autre, à ceux qui prennent le chemin des entreprises, bureaux, commerces et restaurants. Or, en ce moment, ce sont les toilettes des domiciles qui sont beaucoup plus utilisées, ce qui provoque une hausse de la demande pour l’un des deux produits. D’après un article du magazine Vox, depuis le début de la pandémie, les Américains en confinement ont utilisé jusqu’à 40% plus de papier de toilette qu’à l’ordinaire à la maison.
Mais réaliser un tel changement d’approvisionnement n’est pas simple, racontait le journaliste Will Oremus au début d’avril dans le magazine en ligne Marker: les deux produits diffèrent par leur taille, leur méthode de fabrication et leur emballage. De plus, un tel changement implique de nouvelles relations avec les fournisseurs, de nouveaux itinéraires routiers, de nouveaux distributeurs. Ce qui expliquerait, selon le journaliste, pourquoi certains supermarchés aux États-Unis ont bel et bien du mal à remplir leurs étagères.
Kruger confirme l’existence de deux lignes de produits dans ses usines, mais pas la difficulté à répondre à la demande. « Nous faisons des produits pour le marché commercial et pour le marché domestique. Nous avons donc dû ajuster la production, rééquilibrer les produits commerciaux vers ceux de consommation. » M. Manseau affirme que la demande domestique de papier de toilette a augmenté de 80 % avec la pandémie, chez ses clients du Canada. Quant aux entreprises, elles désinfectent plus qu’à l’habitude, donc utilisent toujours des produits de papier pour ce faire, mais ce sont plutôt les serviettes de table en papier dont la demande a chuté, puisque la plupart des restaurants sont fermés.
Toutes les compagnies s’attendent à ce que la demande se fasse moins pressante lorsqu’on sortira du confinement, le temps que les consommateurs utilisent leurs réserves… À moins que ne continue de s’appliquer ce que des psychologues américains appellent le biais « zéro risque », un effet psychologique lié au contrôle: on veut se constituer des réserves parce que ça nous donne l’illusion de contrôler une situation, dans le contexte plus global d’une crise qui, elle, nous plonge dans l’incertitude.