Jacques Lamontagne possède une longue feuille de route, autant comme illustrateur que scénariste, mais il touche pour la première fois au western avec Wild West, une série relatant l’histoire véridique de Martha Jane Cannary, mieux connue sous le nom de Calamity Jane, et Pieuvre a eu le plaisir d’en discuter avec le bédéiste québécois.
Vous avez longtemps travaillé comme illustrateur, et c’est seulement dans la quarantaine que vous vous êtes tourné vers la bande dessinée… Qu’est-ce qui vous a attiré dans la bande dessinée, et pourquoi avoir attendu aussi longtemps?
Jacques Lamontagne : En fait, j’ai toujours eu un grand intérêt pour la bande dessinée sauf que, après mon cours en graphisme, je ne voyais pas de possibilité de pouvoir gagner ma vie là-dedans. J’en ai toujours fait par plaisir, de façon un peu amateur, et quand j’ai commencé à travailler sur Les Contes d’outre-tombe pour le magazine Safarir, je me suis dit « bon, peut-être que je pourrais essayer du côté de l’Europe », parce que, au Québec, je ne voyais pas la possibilité de pouvoir gagner ma vie avec ça, et avec l’arrivée d’Internet, ça a changé complètement la donne.
Vous avez surtout été édité en Europe… Est-ce qu’il y a une différence entre le milieu québécois de la bande dessinée et le milieu européen?
Jacques Lamontagne : Vivre de la bande dessinée au Québec, je dirais que c’est un peu plus difficile, ne serait-ce que pour la diffusion, ou pour obtenir une paye qui est raisonnable… À part des succès comme Michel Rabagliati et quelques autres, être diffusé uniquement sur un marché québécois, toutes proportions gardées, ça devient plus difficile d’avoir des avaloirs et des contrats qui sont un peu plus intéressants. Donc, c’est pour ça que je lorgnais du côté de l’Europe.
Comment est né le projet de Wild West?
Jacques Lamontagne : Ce qu’il faut dire, c’est que j’avais travaillé auparavant avec Thierry Gloris sur Aspic, détectives de l’étrange, une série qui se déroulait à la fin du 19e siècle à Paris. On avait eu beaucoup de plaisir à travailler ensemble et nos univers se rejoignaient, mais à cause de choix éditoriaux, on a été obligé d’abandonner la série. On s’était toujours dit qu’on retravaillerait ensemble éventuellement sur un autre projet, et Thierry m’a demandé quels seraient mes goûts, quel type d’univers j’aimerais regarder… Je lui ai parlé du Retour de Martin Guerre, une petite communauté avec des gueules quand même très typées. Il a réfléchi à ça, et il est revenu avec l’idée d’un western. Ça m’a un peu surpris sur le coup, mais par la suite, j’ai compris l’idée de petite communauté, et puis des sales gueules qu’on pouvait retrouver à l’intérieur de la série.
Depuis un certain temps, on assiste à un retour en force du western dans la bande dessinée… On a même eu droit à un nouveau Blueberry dernièrement… Selon vous, qu’est-ce qui explique cet engouement pour le western?
Jacques Lamontagne : Je n’en ai strictement aucune idée! En toute honnêteté, je n’avais jamais vraiment lu de bandes dessinées western, et après le premier tome de Wild West, j’ai regardé un peu ce que Giraud (ndlr: Jean Giraud le co-créateur de Blueberry) faisait, parce que tout le monde m’en parlait, mais je ne voulais pas être complètement galvanisé ou pétrifié par le travail que Giraud avait fait. C’est là que j’ai découvert cette grande tradition du western en bande dessinée. Il faut dire que, quand on a abordé le projet il y a trois ans, il y avait Undertaker, une série qui était déjà en marche depuis plusieurs années, mais toutes les autres séries n’étaient pas encore arrivées. Là, effectivement, je dirais depuis la dernière année, il y a beaucoup, beaucoup de titres qui sont arrivés avec la thématique du western.
Il y a aussi un défi supplémentaire, celui de faire un western au féminin, autour d’un personnage qui, en plus, a véritablement existé…
Jacques Lamontagne : Oui, effectivement, mais on sait très peu de choses sur Calamity Jane. Elle a écrit ses mémoires, mais comme elle devait recevoir des sous de la vente de son livre, et elle a sans doute bonifié un peu sa propre légende. C’est pourquoi on a repris son histoire, mais à notre façon. On va retrouver des épisodes de sa vie qui sont réellement arrivés dans Wild West, mais on brode également, et c’est une première pour Thierry Gloris, qui a une formation d’historien, de s’affranchir du côté historique pour inventer un parcours que Calamity Jane n’a pas forcément connu.
Est-ce que vous avez fait beaucoup de recherches du côté des images d’archives pour le personnage de Calamity Jane ou les décors et les environnements que vous brossez dans l’album?
Jacques Lamontagne : Oui. Pour ce qui est des décors, ne serait-ce que les accessoires, je suis rendu à peu près avec une vingtaine de bouquins pour être le plus précis possible. On essaie qu’il n’y ait pas top d’anachronismes, d’être le plus véridique possible au niveau de l’imagerie. Par contre, pour Calamity Jane et des photos d’archives que je connais, j’ai réalisé très rapidement que si je voulais que les lecteurs s’attachent au personnage, il fallait que je prenne une certaine distance par rapport aux qualités esthétiques de la vraie Calamity Jane.
Il y a une bonne dose de violence dans l’album… Un viol, une personne qui se fait couper la langue… A-t-il été difficile de trouver l’équilibre entre en montrer trop et pas assez?
Jacques Lamontagne : Comme référence, on avait la série Deadwood, qui est assez rude, assez violente. On s’était entendus, sur cet angle-là, de montrer une espèce de réalité… On n’est pas dans un film de John Ford, là! Il y a des moments qui sont quand même assez forts. Par contre, il y a certaines scènes que j’ai trouvées plutôt difficiles à mettre en images. C’est-à-dire que je ne voulais pas basculer dans le voyeurisme, entre autres avec la scène de viol de Calamity Jane… Je voulais faire attention, mais en même temps, il fallait en montrer suffisamment pour que le lecteur se range derrière Calamity Jane, et applaudisse au moment de son affranchissement, de sa rédemption.
Vos illustrations dans Wild West sont magnifiques et d’une richesse inouïe… Combien de temps ça peut vous prendre à réaliser une case?
Jacques Lamontagne : Beaucoup trop (rires). En fait, je passe énormément de temps sur la recherche avant de mettre en images. Il ne faut pas illustrer n’importe quoi! Je dois faire beaucoup, beaucoup de recherches dans des bouquins pour illustrer de façon adéquate le récit, et cette recherche-là me demande beaucoup de temps. Ce n’est pas un temps que je vais passer à ma table à dessin, c’est un temps de recherche qui s’additionne à mon travail. L’histoire prend place autour de 1867, donc, il faut s’assurer qu’il n’y ait pas trop d’anachronismes. C’est sûr et certain que je vais échapper quelques trucs, mais ça me prend beaucoup, beaucoup de temps pour ce qui est de la recherche. Thierry m’a également aménagé des scènes quand même assez grandioses, et il faut prendre le temps de les faire aussi.
Vous prévoyez combien de tomes à l’histoire de Wild West?
Jacques Lamontagne : À la base, c’est un diptyque qui était prévu. Sauf que, au lancement du premier tome de l’album au festival d’Angoulême, sur le stand Dupuis, ça a décollé super rapidement, on était en rupture de stock dès la première journée! On était le meilleur vendeur sur le site! Ça allait super bien, sauf qu’on a été freinés dans l’élan avec la COVID-19. Tout récemment, Dupuis nous a manifesté son intérêt pour qu’on continue avec un second diptyque. On avait déjà le matériel, donc ça pouvait être prévu comme une série au long cours, mais avec le contexte actuel, on s’est posé de sérieuses questions. Thierry s’est lancé sur l’écriture du tome 3, donc, forcément, il y aura un tome 4 également, parce qu’on fonctionne par diptyques.
Profitez-vous du confinement pour travailler? À quoi doit-on s’attendre de votre part? Est-ce que vous prévoyez un nouveau Shelton et Felter, ou un autre projet?
Jacques Lamontagne : Pour l’instant, toutes mes énergies sont concentrées sur Wild West. Comme je le disais, ça me demande beaucoup, beaucoup de temps… Je scénarise également un projet depuis quelques années pour les éditions Glénat avec le dessinateur chinois Ma Yi, et je vais devoir prendre des décisions, parce que ça fait beaucoup de boulot, et malgré toute l’affection pour Shelton et Felter, il faudra que je réfléchisse à tout ça pour voir ce que je vais faire pour les prochains mois, parce qu’il y a des impératifs éditoriaux, il y a le rythme de parution qui est très important, et quand on déborde d’une année, ça fait grincer un peu les dents des éditeurs… Donc, il faudra que je réfléchisse à tout ça pour la suite des choses.
Wild West, Tome 1 : Calamity Jane, de Thierry Gloris et Jacques Lamontagne. Publié aux éditions Dupuis, 56 pages.