Le film n’est jamais sorti de notre côté de l’Atlantique, mais a fait scandale dans l’Hexagone: J’accuse, plus récent, et probablement dernier film du réalisateur Roman Polanski, se penche sur la célèbre histoire du capitaine Alfred Dreyfus, un officier juif de l’armée française injustement accusé de trahison. Dans le contexte du mouvement MeToo, et surtout dans la foulée de l’histoire jamais résolue d’agression sexuelle de Polanski sur une jeune fille mineure, le long-métrage prend un double sens.
Interdit de séjour aux États-Unis depuis une quarantaine d’années en raison d’un procès fort médiatisé lors duquel le réalisateur a été reconnu coupable, mais dont il n’a jamais purgé la peine prévue – il s’est plutôt enfui –, Polanski traîne ce crime comme un boulet. Et avec, donc, le déboulonnage de certaines figures puissantes du cinéma, notamment Harvey Weinstein, dont tout le monde connaissait la turpitude, mais que personne ne dénonçait, de peur d’en subir des représailles professionnelles, mettre un film de Polanski à l’affiche relève tout au moins de l’impair, voire de la faute grave. Pire encore, on a décerné trois César à ce film à saveur historique, poussant plusieurs actrices à quitter la salle où se déroulait la cérémonie. À l’extérieur, avant même le lever de rideau, des militantes réclamaient la fin de cette époque où les agresseurs peuvent continuer d’exercer leur art sans être inquiétés.
Il ne sera pas question, ici, d’excuser le geste du réalisateur. Polanski n’a pas l’avantage des moeurs d’une autre époque pour protéger son legs cinématographique: son crime est immonde, et avoir fui la justice n’a fait qu’empirer les choses.
Cela étant dit, et bien que la chose puisse malheureusement prendre des airs de séparation de l’oeuvre et de l’artiste, J’accuse est un bon film. L’affaire Dreyfus y est fort bien résumée, bien que largement centrée autour du commandant Marie-Georges Picquart, qui y joua certes un rôle important, mais qui éclipse quelque peu, dans le film, toutes les tensions politiques et les revirements de cette saga judiciaire qui a ébranlé la France pendant plusieurs décennies. Rien à redire, non plus, sur une ville de Paris ramenée à l’époque de la fin du 19e siècle, sur ce poids démesuré de l’armée sur la vie publique, y compris l’utilisation de « preuves secrètes » et d’un pouvoir politique qui apparaîtrait aujourd’hui comme impensable pour obtenir le dénouement souhaité lors des deux procès.
Dans le rôle de Picquart, Jean Dujardin joue de façon posée, fait preuve d’une importante profondeur de caractère, et donne dans une nuance qu’il fait franchement plaisir à voir.
À l’inverse de Woody Allen, qui s’est placé dans pratiquement tous ses films, c’est une bonne chose que Polanski ne soit que derrière la caméra. Cela étant dit, récompenser J’accuse, aussi bon soit-il, tenait de l’hérésie sociale, tout particulièrement dans le climat actuel. Il est agréable de constater que le long-métrage n’a jamais trouvé de distributeur ici. Mais voilà: le film existe, et malgré son absence de distribution en Amérique du Nord, il est possible de le trouver ailleurs. Il faudra juger si l’on peut faire abstraction du fait que sa réalisation est signée Roman Polanski. Ou s’il faut tout balancer dans les poubelles de l’Histoire.