Maintenant que Le Millième Bras du Mékong, le deuxième et dernier tome de La Vallée des Immortels, est disponible, on peut affirmer sans se tromper que l’héritage d’Edgar P. Jacobs est entre bonnes mains avec l’équipe composée de Yves Sente, Teun Berserik et Peter Van Dongen.
La Vallée des Immortels s’insère immédiatement après Le Secret de l’Espadon, la toute première aventure de Blake et Mortimer. La défaite cuisante de l’usurpateur Basam-Damdu et la chute de son empire ont créé un vacuum politique en Asie, et la Chine se voit maintenant déchirée entre les nationalistes de Tchang Kaï-chek, les communistes de Mao Zedong, et les forces du général Xi-Li, un seigneur de guerre travaillant de concert avec les Triades. Tandis que les événements se précipitent à Hong Kong, le capitaine Francis Blake mise sur un appareil révolutionnaire, le Skylantern, pour assumer la défense de la colonie britannique, mais il devra tout d’abord rescaper son inventeur et ami, le professeur Phillip Mortimer, kidnappé à la fin du premier tome par un certain Mister Chase qui, sous son masque de latex, s’avère en fait n’être nul autre que l’infâme colonel Olrik.

Se déclinant en deux tomes, La Vallée des Immortels ne fait pas que s’inscrire chronologiquement entre Le Secret de l’Espadon et Le Mystère de la Grand Pyramide, mais fait aussi le pont entre les deux tendances ayant toujours traversé la série Blake et Mortimer, soit le réalisme historique et la science-fiction. Entamée dans Menace sur Hong Kong (lire notre critique ici), cette nouvelle histoire signée Yves Sente débute en effet sur un complot géopolitique complexe, dont les ramifications s’étendent de la première dynastie chinoise du roi Qin aux années 1940, mais dans ce second volume, intitulé Le Millième Bras du Mékong, l’intrigue verse carrément dans le fantastique, avec sa mythique vallée peuplée de « mangeurs d’émeraudes », des êtres qui auraient percé le secret de la vie éternelle.
Même si son récit est autonome, La Vallée des Immortels sera davantage appréciée par les connaisseurs de Blake et Mortimer, puisqu’il inclut une foule de références aux autres albums et plusieurs personnages familiers, comme le docteur Sun Fo (qui surveillait Mortimer lors de sa captivité dans le second tome du Secret de l’Espadon), Nasir, le fidèle ami et homme de main du professeur, et bien sûr, le colonel Olrik. Les amateurs du célèbre duo retrouveront avec plaisir tous les ingrédients ayant fait le succès de la série : un scénario touffu et cultivé, une passion marquée pour l’archéologie, l’Histoire et la science, et une aventure imbibée de flegme et de fair-play. Ceux qui pensaient que Blake était bien peu présent dans le tome précédent seront heureux de le voir prendre une part plus active dans Le Millième Bras du Mékong.

Contrairement à l’album Le Dernier Pharaon, où François Schuiten modernisait de belle façon le look de la bande dessinée pour lui insuffler sa propre personnalité, Le Millième Bras du Mékong reprend, dans une fidélité déconcertante, la signature graphique caractéristique de la série. Qu’il s’agisse d’Astérix, de Lucky Luke ou d’autres classiques franco-belges ayant survécu à leur créateur, je suis toujours admiratif devant les dessinateurs qui possèdent assez de talent pour reproduire le coup de crayon d’un autre artiste, et des illustrations aux lignes claires et précises de style « Tintin pour adulte » en passant par les phylactères remplis de texte qui prennent parfois jusqu’à la moitié de la case, Teun Berserik et Peter Van Dongen livrent des planches qui auraient pu être esquissées par Edgar P. Jacobs lui-même.
Blake et Mortimer comptent parmi les personnages les plus emblématiques de toute la bande dessinée franco-belge, et tant qu’il y aura des artistes comme Yves Sente, Teun Bersik et Peter Van Dongen pour continuer les aventures du duo tout en respectant l’esprit d’Edgar P. Jacobs, les fans de la série ne peuvent que se réjouir.
Blake et Mortimer: La Vallée des Immortels, Tome 2 – Le Millième Bras du Mékong, de Yves Sente, Teun Bersik et Peter Van Dongen. Publié aux éditions Blake et Mortimer, 56 pages.