Le réchauffement climatique poussera de nombreuses espèces de plantes à migrer vers le nord. Mais ce sera difficile pour l’érable à sucre (Acer saccharum) en raison des propriétés spécifiques des sols accueillant cet arbre si familier aux Québécois. Cela risque de limiter son expansion en altitude, résume une récente étude québécoise.
Car les sols de la forêt boréale que l’on rencontre plus au nord, ont un effet néfaste pour la croissance de l’érable à sucre. « Cet arbre préfère un sol plus alcalin avec les bons champignons associés à sa croissance », résume le doctorant Alexis Carteron, du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal et auteur principal de l’étude parue dans le Journal of Ecology.
De précédents travaux de recherche avaient pointé la migration limitée de certaines espèces d’arbres sur les pentes du Mont Mégantic, alors que le territoire accueille à la fois une forêt tempérée avec des feuillus et une forêt plus boréale avec des conifères.
Suivant la même piste, les chercheurs ont recueilli des échantillons de sols à différentes altitudes du versant est du Mont Saint-Joseph. Ils ont rapporté leurs chaudières de terre dans les serres du Jardin botanique de Montréal pour y créer des milieux différents (tempéré, mixte, boréal, stérile ou non) afin de faire germer leurs graines d’érables à sucre.
Les chercheurs ont réalisé que la symbiose avec les bons champignons et certaines propriétés du sol originel permettait aux pousses de mieux croître au cours des deux saisons d’étude. Les pousses sont même capables de s’adapter à un sol avec un peu plus d’acidité —c’est le cas du sol de la forêt boréale— mais pas si la terre s’avère dépourvue des microorganismes familiers cohabitant avec l’érable à sucre. « Il y a une différence à l’œil nu. Les pousses s’en sortent mieux dans les sols mixtes comparés aux sols de la forêt boréale qui renferment moins de bons nutriments », explique le chercheur.
Les premiers temps de croissance représentent un stade fragile pour les semis des érables : l’arbre pas encore établi est plus susceptible de souffrir d’un manque de nutriments que celui qui possède de fortes racines. « Les vieux arbres ont plus de ressources pour leur survie, d’où l’importance de s’intéresser à la fois à la chimie du sol et au peuplement par les microorganismes. Les deux vont jouer lors de la croissance de la jeune pousse », explique Alexis Carteron.
Le jeune chercheur s’intéresse aux interactions plantes-sols qui, pour lui, représentent une avenue de choix pour une meilleure compréhension des changements de biodiversité et même pour prédire ceux-ci.
Le réchauffement climatique pourrait être donc moins un facteur de migration qu’un facteur de stress plus grand pour cet arbre qui ne peut pas voyager avec son sol de prédilection. « Les microorganismes en lien avec les racines ne répondent pas de la même façon ni à la même vitesse aux changements du climat », souligne le chercheur. Il faudra alors s’interroger sur les bonnes conditions pour planter une espèce comme l’érable à sucre en-dehors de sa zone naturelle. Ce qui risque d’avoir un impact sur le commerce du sirop d’érable.
Difficile transition vers le Nord pour l’érable à sucre
Il s’agit d’une hypothèse intéressante, commente le Pr Yves Bergeron de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. « Nous avions réalisé une étude similaire » qui avait aussi noté l’importance des communautés mycorhiziennes — les microchampignons qui vivent en symbiose avec les racines des arbres.
Son équipe s’intéresse aux facteurs écologiques responsables de la distribution des peuplements forestiers. Les chercheurs se sont penchés sur l’érable rouge, à la distribution plus nordique. « Les premiers sites se rendent jusqu’à la pessière, dans la partie septentrionale du territoire, c’est une espèce plus flexible que l’érable à sucre qui, lui, est à la limite de sa distribution géographique. Nous avons l’érablière la plus nordique à Rouyn et lors des feux, elle perd du terrain face aux conifères. De plus, l’érable à sucre a du mal à percer la forêt boréale car les sols ne lui correspondent pas, contrairement au peuplier faux-tremble dont la progression vers le nord est plus facile », explique encore Yves Bergeron.
Face au réchauffement, les érablières à sucre pourraient donc avoir du mal à résister aux changements. « Ce n’est pas juste une question de hausse de température mais aussi de multiplication des feux de forêts, de cohabitation avec les conifères et de sols inadaptés à cette espèce », résume-t-il.