Il y a eu le film, bien sûr, l’excellent Snowpiercer, lancé en 2013 sur les écrans et réalisé de main de maître par l’oscarisé Bong Joon-ho. Mais ce film, justement, s’appuie sur Le Transperceneige, une bande dessinée remontant aux années 1980 et créée par Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, avec le concours ultérieur de Benjamin Legrand.
L’histoire commence un peu à être connue, d’autant plus qu’une transposition télévisuelle est attendue pour le mois de mai: dans un futur post-apocalyptique, ce qui reste de l’humanité a trouvé refuge dans un train spécialement conçu pour parcourir une bonne partie de la planète, de l’Europe à l’Asie, en passant par l’Afrique et retour.
Plutôt qu’une révolte longuement planifiée, telle que décrite dans Snowpiercer, le héros du Transperceneige, dont les deux premiers volumes ont été réunis dans un seul ouvrage de belle facture publié aux éditions Casterman, est plutôt parti pour échapper à l’horreur. On ne nous montrera jamais vraiment ce qui se passe dans les wagons de queue, mais selon le personnage principal, la maladie, le cannibalisme et la violence ont fait de cet endroit un enfer. Pourtant, au début, c’était dans ces wagons de queue que l’on avait entassé une bonne partie des vivres et des réserves. Tout cela a rapidement été dévoré, et la misère s’est installée.
Voilà donc notre héros qui sera amené, petit à petit, vers l’avant du train aux 1000 wagons. En chemin, le lecteur découvre un univers beaucoup plus coloré que les deux camps particulièrement bien définis du film. Il y a certes les « prolétaires » des derniers wagons, mais surtout divers mouvements politiques, notamment un camp qui réclame l’intégration des « queutards », soit ceux se trouvent justement dans les derniers wagons.
Moins fantaisiste, plus sale, plus terre à terre, ce pouvoir de l’avant du train est aussi plus réaliste. On n’y trouve malheureusement pas de personnage aussi coloré que la ministre interprétée par Tilda Swinton dans le film, mais le style plus sombre cadre aussi avec l’ambiance du début des années 1980, alors que l’économie mondiale était encore fragile, et que la politique internationale pouvait encore déboucher sur l’apocalypse nucléaire. À quoi bon vouloir maximiser sa prestance, par exemple, si l’on est les derniers représentants d’une humanité qui a failli à sa mission civilisatrice?
Sortir du train
Plus intéressant encore est ce second volume, cette fois par MM. Rochette et Legrand après la mort de Jacques Lob, qui s’intitule L’arpenteur. Se déroulant à bord d’un autre train, plus grand que le Transperceneige original, cette nouvelle étape de l’aventure post-apocalyptique se tient, de façon quelque peu paradoxale, aussi près et aussi loin de l’interprétation cinématographique qui sortira quelques décennies plus tard. D’un côté, on trouve ici de véritables figures plus grandes que nature, qu’il s’agisse d’un chef de train surpuissant sombrant dans les excès et le stupre, des dirigeants religieux convaincus que la locomotive est véritablement divine, alors qu’il ne s’agit que d’une simple machine, ou encore d’un héros messianique qui jouera le tout pour le tout afin de tenter de mener ses ouailles en perdition à la Terre promise.
Les passagers, eux, sont toujours séparés en groupe, mais l’intérêt n’est plus du côté de la lutte des classes – d’autant plus qu’il n’y a pas vraiment de « prolétaires », cette fois –, mais plutôt auprès des arpenteurs, ces explorateurs risquant leur vie pour trouver des vivres, ou encore des artefacts d’un passé révolu. Pour partir en exploration, ces hommes aux nerfs d’acier profitent d’un rare arrêt du train – oui, le train s’arrête! –, mais il y a bel et bien une machination à l’oeuvre.
Tout cela est fort mystérieux, et les deux créateurs réussissent à préserver une partie de l’ambiance quelque peu glauque du premier volume, tout en ouvrant la voie à un élargissement des codes scénaristiques.
Si les dernières pages de ce recueil pourraient nous laisser sur notre faim, il y a heureusement deux autres séries, elles aussi publiées chez Casterman. La première raconte, intitulée Extinctions, raconte les premiers jours de la fin du monde, tandis que la seconde, Terminus, semble bien poursuivre l’aventure tout de suite après la fin de L’Arpenteur. De quoi combler nos appétits voraces en manque d’aventure et de grands espaces, aussi glacés et mortels soient-ils.
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