Une colonie de moules a réussi là où bon nombre d’espèces ont échoué: s’établir en Antarctique. Transportées dans la coque d’un navire, elles seraient les premières espèces marines non natives à s’ancrer sur le Continent Blanc, connu comme étant l’un des endroits les plus secs, les plus froids et les plus venteux de notre planète.
Avec sa superficie de 14 millions de kilomètres carrés, il n’accueillait jusqu’à présent que des plantes et des animaux adaptés à un froid extrême, couplé à une grande aridité et un manque de lumière. Ce royaume des manchots, des phoques, des crustacés, des mousses, des algues et des lichens, n’était visité que par les équipes internationales de scientifiques et des chasseurs de phoques.
Récemment, ces mêmes scientifiques ont donc découvert une colonie de moules près de la plus grande des îles Shetland Sud, à quelque 120 km au nord de la péninsule antarctique. Cette découverte, publiée récemment dans la revue Nature, serait un signe avant-coureur d’invasions futures.
C’était une première pour la biologiste marine québécoise Paulina Bruning, une des co-auteures de l’article. La chercheuse de l’Université Laval avait plongé pour collecter des éponges de mer et du corail dans la Baie de Fildes, sur l’ïle du Roi-George.
Elle a trouvé quelques douzaine de petites moules (Mytilus platensis) accrochées à ses spécimens – 47 moules juvéniles de 2 mm et moins, attachées à quatre spécimens d’éponges Kirkpatrickia variolosa. Extraites de l’intérieur de ce cocon improvisé, les moules ont révélé leur origine par une identification moléculaire : le sud de la Patagonie.
Une étude britannique détaillait en janvier la liste des espèces invasives susceptibles de s’installer sur ce continent glacé et les moules chilienne figuraient en première place, en raison de l’activité humaine.
Car le trafic maritime dans la région augmente en raison du changement climatique qui affecte l’océan Austral. En deux ans, 61 navires ont été enregistrés dans la baie de Fildes, soit un tiers des navires visitant l’ensemble du continent antarctique. Plus de la moitié des bateaux (56%), immatriculés dans 27 pays, ont déclaré avoir navigué directement depuis des ports de l’extrême sud de l’Amérique du Sud.
Alors que la biodiversité mondiale décline et que la redistribution des espèces sous l’effet des changements climatiques devient un sujet qui préoccupe de plus en plus d’experts, l’Antarctique semblait constituer le dernier lieu de résistance. Ce n’est plus vrai.
Qui plus est, le climat met à mal la glace de l’Antarctique, sous les pattes des manchots empereur, au point de faire disparaitre des colonies entières: 10 000 petits de la colonie de Hadley Bay, sur la Mer de Weddell, sont morts en 2016 en raison de la rupture de la glace. Tandis que la combinaison de l’introduction d’espèces et des changements climatiques rend la nouvelle zone plus accueillante pour les envahisseuses.