De ces beaux films imparfaits, mais nécessaires, l’irrésistible Kuessipan de Myriam Verreault, co-scénarisé par Naomi Fontaine et librement inspiré de son recueil de poésie du même nom, en fait certainement partie. En ces temps incertains, sa disponibilité à grande échelle autant physique que numérique le place en tête des suggestions pour s’ouvrir aux autres et se cicatriser le cœur.
Il y a de ces retours qu’on attendait discrètement, mais impatiemment, et une décennie après l’inoubliable À l’ouest de Pluton, Myriam Verreault nous gâte de son grand retour à la fiction, prête à reparler de l’adolescence avec un regard qui lui est propre, encore plus frais et assuré que lorsqu’elle le partageait avec Henry Bernadet.
Parler des Premières Nations, du peuple innu en particulier, n’est pas chose simple. Sauf qu’en évitant la caricature et en privilégiant une véritable incursion dénuée de tout sensationnalisme, l’équipe derrière Kuessipan le fait avec un doigté impressionnant. L’approche, honorable, s’y prend de belle manière en calquant le moule d’un genre usé, le coming-of-age, afin de bien l’adapter à une réalité singulière.
Les balises de la réalité semblant confiner les personnages dans leur communauté innue ont beau appartenir à un monde qui nous est à première vue inconnu, il n’en demeure pas moins que leurs rêves et désirs sont les mêmes que n’importe qui. Si cette affirmation peut sembler évidente, sa mise en images et en mots s’avèrent essentielle pour toucher et sensibiliser le plus de gens possible.
On retrouve donc la jeune Mikuan, qui aspire à l’écriture et à la vie en ville, à une réalité différente que celle qu’on semble constamment décidé à lui ramener au visage. Ce rêve, à plus petite échelle, n’est définitivement pas sans évoquer le rêve américain similaire à de nombreux films sur l’adolescence. Ce désir de l’ailleurs et de l’inaccessible étoile résonne en tout un chacun et fait de cette protagoniste une âme déchirée à laquelle on s’attache rapidement. Certes, l’écriture derrière y est pour beaucoup, mais s’en tenir à cela serait amoindrir la performance exceptionnelle de la jeune Sharon Fontaine-Ishpatao, véritable révélation, tendre et nuancée, capable de nous guider avec aisance dans toutes les montagnes russes d’émotion du long-métrage.
Là se trouve probablement l’un des problèmes d’un tel film. En s’appuyant sur une redondance de la notion du drame, malgré cette belle et grande part d’humour et de bonheur, histoire de faire avancer dans un certain désir de malheur la courbe dramatique de l’histoire, on finit par en comprendre les intentions et si l’on évite toujours le misérabilisme grâce à un bon dosage des éléments, on regrette que cette tendance plutôt répétitive alourdisse la capacité du film à respirer. Ces éléments sur écrits pour s’intéresser à des préoccupations du sujet et rappeler que tout n’est décidément pas rose, le contraste un peu trop forcé entre les deux protagonistes unies, mais foncièrement différentes étant proéminent, font regretter l’absence de l’approche plus improvisée de son film précédent.
Si le jeu s’avère inégal d’un rôle à l’autre, on y sent sans contredit le grand apport de Brigitte Poupart, aussi présente dans un mini cameo, qui s’est assurée d’aider la réalisatrice et les comédiens. Le naturel de l’ensemble évite de tomber dans l’amateurisme, le tout constamment élevé d’une part par les compositions de Louis-Jean Cormier, mais aussi de l’autre par les magnifiques images de Nicolas Canniccioni, grand collaborateur de Jean-François Caissy et habitué de ce regard observateur évitant tout jugement.
Bien sûr les faux pas de l’adolescence sont encore là, les mauvaises décisions ici, tout comme la présence de la technologie. Faire la fête, succomber aux folies et croire au grand amour demeure un passage obligé et le film n’y échappe pas. La lassitude et le mépris face à sa famille non plus. Sauf que l’intégrité du film prône constamment et on s’y reconnaît, autant qu’on s’y épanouit, appréciant l’opportunité de ce microcosme qui s’ouvre en nous en ne nous empêchant jamais d’accéder à sa beauté.
Cette jolie édition DVD permet ainsi une belle accessibilité à un film aussi important. On y retrouve avec intérêt dix capsules d’environ dix minutes s’intéressant à différents aspects du film, de son scénario à ses acteurs principaux, en passant par la musique. Vu la courte durée des segments, une option pour les faire jouer en totalité n’aurait pas été de refus, mais ce serait se plaindre pour se plaindre que d’amoindrir la présence de tels suppléments pour un si petit faux pas. On salue aussi la présence de sous-titres autant anglais que français pour les malentendants ou les spectateurs unilingues provenant d’ailleurs.
Il faut donc voir Kuessipan et l’accepter avec les yeux du cœur, ne pas s’attarder sur ses défauts et s’envahir de ses innombrables qualités assurant tout un pas en avant dans notre cinématographie, le regard toujours vers l’avant, vers l’espoir.
En rappel, ma critique lors de sa sortie en salles.
6/10
Kuessipan est disponible en DVD depuis le 3 mars dernier. Il est également disponible en vidéo sur demande sur un grand nombre de plateformes numériques.