Nous sommes en l’an 1999, à l’aube du nouveau millénaire. Paraît le diptyque Le naufragé de Memoria, un roman graphique de Jean-Paul Eid et Claude Paiement. Et pour célébrer les 20 ans de l’oeuvre, les éditions La Pastèque ont réédité, il y a quelques mois, ce voyage aux limites du réel.
Benjamin Blake est un chauffeur de taxi tout à fait ordinaire, dans une ville des années 1930 où de mystérieux malfaiteurs kidnappent certaines personnes en passant à travers les murs. Mais est-ce bien la réalité? Ne s’agit-il pas plutôt d’une simulation mise sur pied par Brainstorm, un gigantesque empire du divertissement qui offre à ses clients de « plonger » dans des univers virtuels, en échange, probablement, d’un montant d’argent important.
Deux mondes vont donc s’affronter: celui des humains, à l’extérieur, qui voient cet univers numérique comme un terrain de jeu où ils peuvent se permettre les pires caprices, et celui des « humains », ces êtres électroniques qui sont, eux, persuadés d’exister dans un monde qui est bien réel.
On retrouvera, bien entendu, un grand nombre de références à la science-fiction contemporaine. Mais puisqu’il s’agit d’une publication datant d’une vingtaine d’années, faut-il voir Memoria comme ayant peut-être inspiré The Matrix, ou plutôt comme s’inspirant de la trilogie mettant en vedette Keanu Reeves, Hugo Weaving et tous les autres? Il est fort possible, également, que la bande dessinée et le film se soient développés en parallèle. La question des mondes numériques et des robots ou créations artificielles étant persuadés que leur univers est bien réel ne date pas d’hier, après tout. Il y a la récente télésérie Westworld, bien entendu, qui s’appuie entièrement sur cette exploration de la réalité, mais il ne faut pas non plus oublier que la série diffusée sur les ondes de HBO s’appuie elle-même sur le film du même nom sorti en 1973…
N’oublions pas, non plus, l’incursion d’un humain dans le monde électronique de Tron, en 1982; bref, les références abondent, et il est intéressant de voir, ici, qu’il ne s’agit pas seulement d’un univers numérique parallèle, par exemple, mais que les créateurs aient décidé de mélanger les sous-thèmes pour créer un univers bien à eux. Avec un dialogue rapide, des dessins particulièrement détaillés, un cadre serré… Memoria se dévore comme une minisérie, ou encore comme un long film. Tout y est: des enjeux éthiques, des prouesses technologiques, du sexe, de la violence, du mystère, voire même un dérapage pour la civilisation humaine.
On se plonge dans ce roman graphique en se disant qu’il aurait été intéressant, voire intriguant, que l’on puisse poursuivre notre exploration de ce monde quasi-dystopique. Espérons que les créateurs voudront de nouveau se prêter au jeu…