Il y a quelque chose de pourri en Corée du Sud: si cette puissance économique semble impressionner avec son efficacité, sa productivité et, récemment, sa capacité à juguler l’épidémie de coronavirus, le pays d’Asie du Sud-Est possède une histoire tachée de zones d’ombre, et la question du droit du travail fait partie de ces aspects méconnus de la vie sud-coréenne, comme l’indique le bédéiste Choi Kyu-sok, dans le premier tome d’Intraitable, paru chez Rue de l’Échiquier BD.
Ancienne dictature militaire (le descriptif est peut-être un pléonasme, ici), la Corée du Sud possède toujours une structure de pouvoir rigide, une « chaîne de commandement » où les employés n’ont pas leur mot à dire sur la bonne marche des affaires, et où le simple fait de tenter de se syndiquer peut entraîner d’importantes conséquences.
Première série du dessinateur à paraître en français, après quelques albums tenant en une seule déclinaison, Intraitable est un projet auquel le créateur désirait s’attaquer depuis belle lurette. S’articulant autour des problèmes des petites gens et du pouvoir exorbité des dirigeants, l’oeuvre trouve en son centre le personnage de Gu Go-shin, directeur du cabinet de conseil Bujin, spécialisé en défense des travailleurs. Tenace, parfois même hargneux, Gu Go-shin est déterminé et n’hésite pas à recourir à certaines armes économiques, comme le boycott ou la grève, pour obtenir gain de cause.
Cette fois, il souhaite faciliter la syndicalisation des employés d’un supermarché dirigé par un patron européen ne pensant qu’aux profits, et où les gérants ont reçu l’ordre de « faciliter » le départ des employés qui s’occupent de regarnir les étagères et de préparer les produits. Il ne s’agit pas de licencier directement, ce qui nécessiterait de payer des dédommagements, mais plutôt d’exercer un harcèlement psychologique intenable qui poussera les travailleurs à démissionner.
Au coeur de ce maelstrom, on trouve aussi Lee, un ancien militaire qui s’est couvert de disgrâce en voulant appliquer le règlement à la lettre, et en voulant combattre les abus de pouvoir et la corruption au sein de l’appareil militaire. Désormais coincé dans un rôle de petit patron dans ce même supermarché, il tente de plaire autant à ses supérieurs qu’à ses employés. Hélas, le grand patron, manipulateur à souhait, forcera Lee à se placer dans une position impossible, et il sera plutôt détesté par les deux camps, et même par Gu Go-shin, et ce, quoi qu’il tente de faire.
Bande dessinée percutante, Intraitable, tome 1, lève le voile sur ce côté franchement déprimant du monde du travail. Celui où, sous prétexte de protéger les marges de profit (et les salaires des patrons et les retombées pour les actionnaires, principalement), on traite les employés comme des moins que rien, comme des sous-humains moins importants que les fruits et les légumes qu’ils manipulent tous les jours.
Bien sûr, dans les yeux d’un lecteur québécois, cette violation flagrante d’au moins une dizaine de dispositions du Code du travail d’ici choque, et crée une certaine distanciation forcée. Difficile de s’identifier, en fait, à une société si rigide. Et oui, il existe de l’irrespect des droits des travailleurs au Québec, et certains patrons luttent activement contre la formation de syndicats – sans parler des compagnies qui combattent ardemment tous les gains possibles lors des négociations d’une nouvelle convention collective –, mais à ce point? De façon aussi flagrante? La chose aurait rapidement fait les nouvelles, ici, et la situation aurait été vivement dénoncée, plutôt que d’être acceptée avec résignation, en Corée du Sud.
Cela ne devrait toutefois pas rebuter les amateurs de bande dessinée à « vocation » sociale. L’histoire racontée par Choi Kyu-sok est essentielle, ne serait-ce que pour savoir que cette réalité existe, ailleurs dans le monde.
Intraitable, tome 1, de Choi Kyu-sok. Publié chez Rue de l’Échiquier BD, 245 pages.