Au rythme où l’humanité exploite les ressources de la planète, faudra-t-il un jour se tourner vers l’espace pour assurer la survie de notre espèce? C’est la prémisse que développe l’album Soon de Thomas Cadène et Benjamin Adam.
La bande dessinée Soon nous projette plus de 130 ans dans le futur, en 2151. Après quelques guerres, des catastrophes écologiques à répétition et des pandémies sans précédent, la population mondiale a été divisée par dix, et seul 12% de la surface de la planète est encore habitable. Alors qu’elle s’apprête à partir pour un voyage de trente-deux ans dans l’espace en direction de Proxima B afin d’y établir une colonie, l’astronaute Simone Jones invite son fils Youri à faire le tour du monde avec elle, et à visiter une dernière fois les sept villes où sont confinés les 800 millions d’humains restants. Bien qu’il lui reproche de se lancer dans une mission suicide, Youri accepte l’invitation de sa mère, mais constater de ses propres yeux l’état lamentable de la Terre sera-t-il suffisant pour lui faire accepter le départ de Simone vers le cosmos?
Soon imagine à quoi pourrait ressembler la civilisation de demain si la tendance actuelle se maintient, soit un futur où la nature s’est retournée contre nous, où le corporatisme a atteint des sommets inégalés (faisant même de la lune une propriété privée), et où l’individualisme a cédé la place à une existence basée sur la survie de l’espèce, donnant naissance au passage à une société légèrement fasciste où les invalides et autres non productifs sont regroupés dans leur propre « secteur ». Afin d’égayer ce portrait plutôt glauque, Thomas Cadène et Benjamin Adam glissent quelques clins d’œil amusants ici et là. Le décollage de la navette doit par exemple s’effectuer depuis le Chris Hadfield Space Center, et parmi les grands titres d’un journal de 2033, on peut lire « Trump emprisonné de nouveau! ».
Tout en s’articulant autour d’un voyage où une mère et son fils tentent de se réconcilier avant d’être séparés à jamais, le récit de Soon s’avère assez cérébral, et engage peu l’émotion. C’est probablement parce qu’une large partie de l’intrigue, qui relate étape par étape comment la situation s’est détériorée depuis la formation de notre planète jusqu’à ce futur peu reluisant de 2151, est racontée dans un ton de documentaire, avec toute la froideur d’un cours d’Histoire. Abordant autant le Big Bang que le destin particulier des douze hommes ayant marché sur la Lune, la capsule Voyager ou le Vaisseau spatial Terre de Buckminster Fuller, les auteurs livrent de la science-fiction intimiste et philosophique qui rappelle, dans les thèmes comme l’ambiance, la bande dessinée Des milliards de miroirs de Robin Cousin.
Benjamin Adam adopte deux signatures graphiques distinctes dans Soon. La majeure partie de l’album contient des illustrations très artistiques et stylisées, où les personnages naïfs et les mégapoles futuristes semblent esquissés au fusain, et où la coloration singulière et atmosphérique se concentre souvent sur une seule teinte à la fois (turquoise, citron, framboise, etc.). Les nombreuses leçons d’Histoire sont tracées quant à elles avec précision, dans un style proche du dessin technique. En plus de présenter les chapitres sous la forme d’un compte à rebours (une excellente idée dans le contexte d’un récit se terminant sur un décollage), l’illustrateur pousse l’audace visuelle jusqu’à briser occasionnellement le sens habituel de la lecture, avec ses cases défilant de droite à gauche.
En dépit du futur peu enviable dépeint dans ses pages, la bande dessinée Soon entretient l’espoir : celui que, pour les habitants de 2020, il ne soit pas trop tard pour sortir du déni écologique, avant de devoir se tourner vers l’espace pour trouver une nouvelle planète habitable.
Soon, de Thomas Cadène et Benjamin Adam. Publié aux éditions Dargaud, 240 pages.