Que diriez-vous d’un monde où tout le monde déteste profondément François Létourneau, enfin, « Gaétan Delisle », du nom de son nouveau personnage? Aussi inusitée soit-elle, après deux épisodes dévoilés aux médias ce mercredi matin, c’est ce que semble être l’une des nombreuses prémisses proposées par sa première télésérie dont il a assuré l’entièreté de l’écriture. Pour le reste, le choix était clair, son fidèle acolyte Jean-François Rivard devait absolument s’occuper de la réalisation. Enfin, peut-on donc s’exclamer, C’est comme ça que je t’aime, leur troisième projet, nous arrive à point pour qu’on en déguste encore chaque instant.
Les visages de plusieurs membres de la distribution, les brisures de ton, la folie, mais aussi le soin technique visiblement très cinéphile font encore montre de l’immense talent de ces créateurs. Après les années 60 de Les Rescapés, place aux années 70 où ICI Radio-Canada, ainsi que les productrices Joanne Forgues et Catherine Faucher, se donnent encore l’audace d’aller voir ailleurs.
Après tout, c’était le mot d’ordre selon Jean-François Rivard: aller encore plus loin. Ce qui n’est pas peu dire pour ceux qui ont offert l’une des rares téléséries d’ici entièrement hivernales, l’inoubliable Série noire.
Et s’ils ont beau admettre que cette nouvelle escale dans un passé plutôt banlieusard à Sainte-Foy en fait probablement leur proposition la plus grand public, François Létourneau n’a pas peur de déclarer qu’il s’agit ici probablement d’une synthèse de ses deux projets antérieurs. En alliant la réflexion sur le couple débuté dans Les Invincibles et la fascination pour le crime de Série noire, ils ont également la possibilité de finalement mettre à l’avant de magnifiques personnages féminins, comme dans Mad Men.
Ces femmes ont toujours été présentes dans leurs projets précédents, mais jamais entièrement à l’avant-plan et, cette fois, ils sont catégoriques, c’est Huguette, la mère de famille enceinte de six mois en pleine crise existentielle, interprétée par la succulente Marilyn Castonguay, qui est ici le vrai personnage principal de la série.
Il ne faut toutefois pas passer sous silence le reste de la distribution. S’il en reste encore beaucoup à découvrir, Patrice Robitaille continue d’être franchement à l’aise aux côtés de Létourneau, alors que Karine Gonthier-Hyndman a encore un sens enviable de la répartie.
Comme un vieux couple
Si l’univers paraîtra différent aux premiers abords, le choc des époques oblige, l’ensemble naviguera rapidement en terrain connu. Rivard et Létourneau se caractérisent aisément comme un vieux couple. Si les rôles étaient mieux définis cette fois, les deux savent exactement quoi attendre de l’autre et on retrouve sans mal une bonne majorité de leurs thèmes de prédilections, là où le couple bat toujours de l’aile, que les situations absurdes se succèdent par milliers et que les phrases pince-sans-rire sont souvent les plus hilarantes pour détonner dans des situations qui dans les mains de d’autres créateurs auraient certainement eu un tout autre ton.
On s’amuse également encore beaucoup avec la forme. Il y a eu le faux documentaire et le faux feuilleton, ici, c’est la fausse histoire vraie. Il y a encore des bribes d’entrevues, des voix off, des jeux sur les points de vue, mais la pièce de résistance est de créer de toute pièce l’incroyable fausse histoire vraie d’une bande de criminels des années 70 qui n’ont jamais existé.
C’était d’ailleurs l’idée farfelue de leur pitch initial à Radio-Canada: faire croire tout le long du meeting que ce qu’ils allaient raconter s’était véritablement déroulé.
S’il s’est encore affublé d’un des protagonistes, Létourneau se retrouve également avec un projet foncièrement très personnel. Librement inspiré de ses propres souvenirs de l’époque, il était important pour eux que les années 70 demeurent accessoires, et qu’on ne tombe jamais dans l’étalage de clichés, qu’importe le travail dantesque de leur reconstitution historique.
C’est d’ailleurs probablement l’une des raisons pourquoi Rivard a autant repoussé les limites de sa propre réalisation, qui a demandé davantage de préparation cette fois comme il ne s’agissait pas de ses propres textes. En pigeant grandement dans son immense et vieil amour des films noirs, il a fait appel à Patrick Lavoie pour pondre une grande trame sonore très orchestrale et omniprésente pour exprimer à l’écran tous les silences qui enveloppent les personnages régulièrement envahis de leur propre solitude.
Il avait également le désir d’agrandir les espaces et de laisser la caméra respirer, de ne pas se contenter de filmer des dialogues, mais bien d’impliquer le spectateur dans les situations de plus d’une façon.
Enfin, cela prend moins de deux épisodes pour être déjà pleinement investi, intrigué et fasciné par un autre univers complètement éclaté, mais Dieu merci, il en reste encore huit autres pour, on l’espère, plonger encore davantage dans leur inimitable folie contrôlée. Avec toutes les pistes débroussaillées, et connaissant le savoir-faie des créateurs, un talent qui continue encore de nous épater après toutes ces années (réécouter leurs anciens projets permet de découvrir continuellement de nouvelles trouvailles dans leur génie), c’est un véritable cadeau que de se faire offrir C’est comme ça que je t’aime sur un plateau d’argent.
C’est comme ça que je t’aime arrive en intégralité sur ICI Tou.TV Extra dès ce vendredi 6 mars. Il n’y a pas encore de dates exactes quant à sa diffusion à la télé conventionnelle.
Les deux premiers épisodes sont également présentés en exclusivité ce jeudi soir 5 mars à 19h30, à la Cinémathèque québécoise dans le cadre des rendez-vous Québec Cinéma, en présence de plusieurs membres de l’équipe.