Véritable coup de foudre pour L.A. Tea Time, plus récent film de la jeune Sophie Bédard Marcotte, attrapé sur grand écran dans le cadre des Rendez-Vous Québec Cinéma, rappelant la nécessité d’un tel festival pour faire le plein de ces petits bijoux qui nous ont échappé dans la dernière année.
Ce qui frappe le plus avec cet essai qui se dit lui-même comme étant entre la frontière très ambiguë de la fiction et du documentaire, c’est sa liberté. Sa liberté oui, mais envahie de contraintes.
Univers de paradoxes, où l’on se donne comme mandat à la fois la fantaisie et le désenchantement, la déception et l’humour. Sophie Bédard Marcotte se met elle-même en scène sans trop de nombrilisme, puisqu’elle a la dérision à cœur. Son souhait le plus cher est de rencontrer l’une de ses idoles, Miranda July, débutant un périple à travers les États-Unis pour espérer avoir le droit à une heure à prendre le thé en sa compagnie. Un objectif qui semble plus réaliste qu’avec Chantal Akerman, une autre de ses grandes inspirations malheureusement décédée.
Toutefois, dans son univers, les possibles prennent des airs nouveaux et chaque nouvelle intersection est une porte pour un monde de merveilles. Ainsi, à coups de trouvailles toutes des plus ingénieuses, elle passe la « normalité » de son road-trip au tordeur pour constamment l’alimenter de folies.
Avançant toujours plus vers une inaccessible étoile, elle se met alors à divaguer avec sa cameraman et comparse Isabelle Stachtchenko dans une réalité toujours moins concrète et toujours plus abstraite, le tout pimenté de références autant à l’œuvre de July (il y a un magnifique clin d’œil à l’immense The Future) qu’à The Wizard of Oz, qui viennent ensorceler cette quête a priori anodine et banale, mais ô combien fascinante et divertissante entre les mains d’une cinéaste autant en contrôle.
C’est que si elle s’exhibe avec délicatesse, maladresse et beaucoup d’hésitation devant la caméra, l’artiste vient contrebalancer toute cette incertitude par sa réalisation, qui pourrait difficilement démontrer une plus grande assurance. Face à une osmose évidente avec ses collaborateurs, Strachtchenko nommée précédemment qui nous séduit le regard de par ses magnifiques images, ou encore son monteur et animateur Joël Morin-Ben Abdallah qui sait tout agencer dans une fluidité épatante, l’artiste ponctue systématiquement chaque banalité apparente par un éclair de génie formel, technique ou dialogué.
Qu’on se le tienne pour dit, l’humour est ainsi omniprésent dans ce film. D’une simple discussion autour d’un repas en passant par la mise en place d’un escabeau, le film sait s’abreuver du quotidien pour le tourner à son avantage et y puiser toute l’absurde et la poésie nécessaire pour y voir dans cette création une véritable œuvre d’art.
Mieux, on s’amuse à déconstruire le documentaire en s’interrogeant sur ses différents procédés que ce soit la musique (dans une de ses idées les plus ingénieuses) ou même la nécessité d’y avoir des intervenants pour le peupler. Ces nombreux escales vers des personnages par moment plus grand que nature, mais toujours très terre-à-terre, est d’ailleurs encore une fois très près du travail de July elle-même, constamment fascinée par les gens ordinaires qui cachent toujours des petits je-ne-sais-quoi pour les faire ressortir du lot que ce soit en public ou en privé.
L.A. Tea Time en ressort donc comme une odyssée qui n’est rien de moins que fabuleuse. Une quête créative et introspective fort personnelle qui peut résonner en chacun de nous sans mal. Un beau délire libre et fou habilement contrôlé pour mener son spectateur avec un talent qu’on veut plus que jamais suivre dans toutes les autres propositions de la réalisatrice.
8/10
L.A. Tea Time est distribué par La distributrice de films, également en charge de son film précédent. Si tout va bien, un DVD devrait être lancé au courant de l’année.