Finie, cette époque où les outils technologiques semblaient vouer la civilisation occidentale à un avenir radieux; l’heure est plutôt au clash entre les règles sociétales établies et l’utilisation parfois abusive de technologies et autres plateformes, appareils et outils numériques qui sapent les fondements de la démocratie en permettant un affaiblissement des institutions. Selon plusieurs experts interrogés par le Pew Research Center, cette tendance ira d’ailleurs en s’aggravant.
Après l’enthousiasme débridé pour Twitter et Facebook, par exemple, ou encore pour les téléviseurs et téléphones intelligents, la résistance continue de croître. Les patrons des grands réseaux sociaux sont régulièrement pris à partie par leurs utilisateurs pour qui leur incapacité à combattre les contenus haineux et les fausses informations, qui leur volonté d’accumuler une quantité effarante de données pour ensuite les revendre au plus offrant. Des téléviseurs connectés, des téléphones et des assistants personnels sont pris en flagrant délit d’espionnage ou de transmission de données personnelles. Et bien des candidats à l’investiture démocrate aux États-Unis, par exemple, veulent s’en prendre directement, justement, aux grands conglomérats technologiques.
En collaboration avec l’Imagining the Internet Center de l’Université Elon, le Pew Research Center a questionné quelque 979 experts en technologie, ainsi que des développeurs, des dirigeants d’affaires et des responsables politiques, ainsi que des chercheurs et des militants.
Le résultat est clair, révèle le rapport d’étude publié en début de semaine: 49% des répondants jugent que l’utilisation des technologies va « largement affaiblir les concepts centraux de la démocratie et de la représentation démocratique au cours de la prochaine décennie », alors que 33% jugent que les outils, plateformes et appareils technologiques aideront plutôt à renforcer ces piliers politiques, et que 18% des experts ne s’attendent pas à des changements importants.
Au coeur des préoccupations de bien des experts faisant partie du groupe interrogé par les chercheurs, ont note l’existence du trio formé de la confiance, de la vérité et de la démocratie. Ces experts jugent ainsi que l’utilisation néfaste des technologies numériques pour manipuler et transformer les faits en armes sape la confiance de la population envers les institutions, et envers elle-même. Ce déclin de la confiance vient aussi affecter la vision qu’ont les populations à propos du bon fonctionnement des processus démocratiques et des institutions conçues pour donner le pouvoir aux citoyens.
Parallèlement à cela, la crise qui perdure dans les médias, qui vient réduire les ressources dont ceux-ci disposent pour enquêter sur les puissants et rapporter les faits, laissant le champ libre aux réseaux sociaux, dont les méthodes de vérification des faits sont largement insuffisantes, en plus de simplement relayer les contenus, sans en produire eux-mêmes.
Peurs, espoirs, et ambiguïté
Pour Jonathan Morgan, chercheur principal en matière de design au sein de la Fondation Wikimedia, qui possède la célèbre encyclopédie virtuelle Wikipédia, le problème actuel découlant des technologies contemporaines est triple. « D’abord, l’utilisation des médias sociaux par des groupes d’intérêts pour disséminer de fausses informations d’une façon stratégique et coordonnée pour saper la confiance des gens envers les institutions, ou les convaincre de croire des choses qui sont fausses », a-t-il dit.
« Ensuite, il y a le rôle des plateformes privées à but lucratif qui diffusent des informations, récoltent les données personnelles des utilisateurs, et interagissent avec les groupes d’intérêts politiques. Ces plateformes n’ont pas été conçues pour être des biens communs numériques. Toutes leurs caractéristiques en font en fait de bien piètres porteuses d’un message démocratique. »
« Enfin », poursuit M. Morgan, « il y a le rôle croissance des propriétaires en matière de surveillance en ligne, ainsi que par les acteurs étatiques, ainsi que la puissance croissante des technologies de surveillance alimentées par l’apprentissage machine pour accumuler analyser des données, ce qui menace la capacité du public à participer de façon sécuritaire et équitable à des discussions civiques. »
Pour les experts qui s’attendent plutôt à une amélioration, ces technologies vont continuer d’évoluer pour mieux défendre les intérêts des sociétés démocratiques et du vivre-ensemble, alors que les utilisateurs vont aussi adapter leur utilisation pour maximiser les impacts positifs.
« Le problème, juge Danah Boyd, chercheuse principale au sein de la division de recherche chez Microsoft, c’est que la technologie magnifie à la fois le bon, le mauvais et l’immonde de la vie de tous les jours. »
« Et maintenant, nous n’avons pas les barrières, les mesures de sécurité ou les politiques pour éviter que des individus manipulateurs provoquent d’importants dégâts avec des technologies conçues pour connecter les gens et aider à répandre les informations. »
Quelque part sur ce spectre allant du pire au meilleur amené par les technologies contemporaines, la chercheuse Judith Donath, du Berkman Klein Center de l’Université Harvard, a choisi de ne pas sélectionner l’un des trois futurs proposés dans le cadre de l’étude. Mme Donath, peut-on lire dans le rapport, propose plutôt deux scénarios pour l’année 2030, et au-delà. Le premier, dit-elle, parle d’une « démocratie en miettes ». Les catastrophes provoquées ou alimentées par la technologie ont provoqué un retour aux régimes autoritaires, un « repli ancien » alimenté par la peur.
L’autre scénario parle plutôt d’une « démocratie post-capitalisme ». « La justice et l’égalité des chances sont reconnues comme étant bénéfiques pour tous. La richesse engendrée par l’automatisation est partagée au profit de tous. Les investissements en éducation entraînent une explosion de la pensée critique et artistique, en plus d’alimenter la créativité scientifique et technologique. De nouvelles méthodes électorales permettent une démocratie de plus en plus directe – et l’intelligence artificielle transpose les votes en politiques publiques. »
Mme Donath ne veut cependant pas s’avancer quant à savoir laquelle des deux visions pourrait prévaloir au cours des prochaines années.
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