Il y a 30 ans, les Terriens recevaient un cadeau de Saint-Valentin: une photo d’eux-mêmes, prise à 6 milliards et demi de kilomètres.
Pale Blue Dot — un tout petit point bleu pâle — est devenue pour certains une photo aussi importante que celle du « lever de Terre » prise par les astronautes autour de la Lune, en 1968. Ces deux images ramènent tout ce que nous sommes à une fragile petite boule bleue et blanche, suspendue au milieu d’un océan de noirceur. Mais alors que la Terre vue depuis la Lune permet encore de voir des continents, la Terre à 6,4 milliards de kilomètres est réduite à un petit pixel — 0,12 pixel pour être exact. Visible uniquement parce qu’elle baigne dans un rayon de Soleil.
Pale Blue Dot, c’est aussi la dernière photo parmi les dizaines de milliers prises par la sonde américaine Voyager 1. La moins « scientifique » sans doute, puisqu’elle ne révèle rien à l’oeil averti, à côté des photos des lunes de Jupiter et de Saturne, en plus des lointaines planètes Uranus et Neptune photographiées par sa jumelle Voyager 2: des dizaines de mondes révélés en détails pour la première fois, offrant à l’humanité un portrait de la variété inattendue de notre système solaire. Mais Pale Blue Dot avait, en comparaison, une charge émotive: nous qui nous pensons si grands, nous voici révélés très fragiles. Et une charge poétique: Voyager 1 et 2, en plus d’être des explorateurs, sont nos ambassadeurs: à l’heure qu’il est, ils continuent sur leur élan, traversant les ultimes frontières magnétiques de notre système solaire, et si rien ne les arrête, ils croiseront d’autres systèmes solaires, dans les prochains millions d’années.
Le célèbre astronome et vulgarisateur Carl Sagan, impliqué dans le projet Voyager depuis ses débuts, avait proposé cette photo dès 1981: « Il me semblait qu’une autre photo de la Terre pourrait aider au processus de prise de conscience de ce que nous sommes, de notre situation et de notre état. Il avait été bien compris par les scientifiques et les philosophes de l’Antiquité que la Terre était juste un point dans un vaste Cosmos, mais personne ne l’avait encore vu ainsi. C’était notre première chance. »
Une idée qui semblait simple mais qui était technologiquement compliquée: parce que Voyager était conçu pour regarder devant, pas derrière. À des milliards de kilomètres, l’effort requis pour lui envoyer les instructions nécessaires — avec son « ordinateur de bord » des années 1970 — semblait si peu utile d’un point de vue scientifique qu’il faudrait près d’une décennie avant d’en convaincre le nouveau chef d’équipe. La responsable de l’imagerie dans l’équipe Voyager Carolyn Porco, raconte avoir proposé séparément la même idée, et leurs efforts conjoints ont fini par porter fruit: on l’oublie aujourd’hui, mais c’est en réalité un « portrait de famille » qui a été commandé à Voyager 1 en 1990: retourner sa caméra à 180 degrés pour prendre 60 photos de toutes les planètes qui étaient alors dans son champ de vision, incluant la nôtre.
Cette image de la Terre « n’est pas une image impressionnante, écrit Carolyn Porco. Mais ça n’était pas important en bout de ligne, parce que c’était la façon dont Carl l’avait imaginée, la transformant en une allégorie de la condition humaine ». L’image elle-même est devenue une source d’inspiration pour nombre de ceux qui en appellent à protéger le caractère unique de ce petit îlot bleu flottant dans un océan cosmique.
Un premier module commercial sur la Station spatiale internationale