Quand la pression pour sortir du carbone provient de la multinationale du pétrole BP, on se demande si c’est encore le bon moment d’investir dans un pipeline ou dans de nouveaux forages, en Alberta ou ailleurs.
En annonçant le 12 février qu’il visait à rendre BP « carboneutre » en 2050, le nouveau directeur, Bernard Looney, n’a pas seulement pris ses actionnaires par surprise: il a ébranlé les certitudes des investisseurs, qui se demandent s’il vaut la peine de miser sur de nouveaux projets, sachant qu’il peut s’écouler 10 ans entre les premières pelletées de terre et les premiers profits. Et il a même ébranlé les certitudes de quelques écologistes: bien qu’ils aient noté que l’annonce du nouveau patron était pauvre en substance sur la façon dont il compte atteindre cet objectif — et il faut de plus rappeler que « devenir carboneutre » n’est pas synonyme de « ne plus émettre de gaz à effet de serre ». Mais il n’en demeure pas moins qu’une telle annonce aura des impacts économiques et politiques.
Avant même cette annonce, la frilosité des investisseurs se faisait sentir. Autour de l’Alberta par exemple, au moins trois investisseurs majeurs ont annoncé depuis novembre qu’ils retiraient leurs billes de toute compagnie tirant ses revenus des sables bitumineux: la Banque centrale de Suède, le géant de l’assurance The Hartford et, en janvier, le premier gestionnaire mondial d’actifs, BlackRock (« les changements climatiques sont devenus un facteur déterminant dans les perspectives à long terme des compagnies »). Avant eux, il y avait eu le Fonds souverain de Norvège, la Société générale de France, et d’autres.
Plus tard cette année, les experts s’attendent à ce que la Banque centrale d’Angleterre exige des institutions financières britanniques qu’elles démontrent leur viabilité si la valeur des réserves pétrolières inexploitées devait s’effondrer —autrement dit, si tous ceux qui ont investi dans ces réserves en pariant sur le fait qu’elles sortiront tôt ou tard du sol, devaient y perdre leur chemise. La Banque d’Angleterre lance depuis des années des signaux d’alarme sur le risque d’une « bulle carbone » capable de déstabiliser l’économie mondiale, comme la crise financière de 2008 l’avait fait.
Et tous ces intervenants s’ajoutent à une très longue liste de fonds de pension, de banques et d’institutions comme des universités ou des villes qui, depuis 2011, se sont joints à un mouvement international de « désinvestissement » des carburants fossiles.
Certes, comme le notait cette semaine le New York Times, les sables bitumineux albertains restent bien en selle grâce à l’appui des investisseurs locaux — banques et fonds de pension — qui ont beau jeu d’alléguer que certains de ceux qui se retirent de l’Ouest canadien continuent d’investir dans des endroits comme l’Arabie Saoudite.
Mais ces annonces successives suggèrent que l’industrie financière pourrait avoir, si elle changeait de trajectoire, un pouvoir d’influence sur les politiques climatiques votées dans un pays. Il ne lui resterait plus qu’à intégrer les changements climatiques dans ses calculs: autrement dit, que le « risque climatique » constitue une prémisse, de la même façon que les risques sanitaires ou de catastrophes naturelles font partie de la « normale » pour quiconque souhaite investir dans une foule de domaines de l’économie.