Cela a beau faire bientôt 10 ans que des centaines de milliers d’étudiants sont descendus dans les rues du Québec pour protester, entre autres, contre la hausse des frais de scolarité du gouvernement Charest, les flammes de la contestation ne se sont jamais tout à fait éteintes. Et dans Zoé, une pièce d’Olivier Choinière présentée au Théâtre Denise-Pelletier, les fondements philosophiques et éthiques des grévistes se heurtent à une autre vision, celle d’un utilitarisme altruiste, certes, mais qui provoque des étincelles.
Alors que ses camarades sont dehors, à manifester, Zoé a obtenu une injonction pour pouvoir continuer de suivre ses cours. Ses professeurs sont donc dans l’obligation de lui enseigner la matière s’ils ne veulent pas être reconnus d’outrage au tribunal et risquer la prison. Tout cela est fort bien pour les cours de science, probablement, mais il y a aussi un cours qui porte, de façon fort à propos, sur la philosophie et la politique.
Entre Zoé et son professeur débute alors ce qui pourrait s’apparenter à un duel philosophique et éthique, chacun étayant ses arguments le mieux possible. Mais s’agit-il vraiment d’un affrontement, ou plutôt d’un échange courtois servant à comprendre l’autre? Dans sa mise en scène, Olivier Choinière s’amuse à jouer avec les codes, en alternant les fins de ce qui pourrait être considéré comme différentes scènes, histoire de leur donner une nouvelle signification. Des déclarations enflammées deviennent alors des discussions plus polies, et le texte continue de progresser.
En apparences isolés dans une salle de classe vide, tandis que la contestation prend de l’ampleur à l’extérieur – à un point tel, en fait, que l’armée sera mobilisée pour tenter de mettre fin à la crise –, nos deux personnages tentent d’en arriver à un compromis sur la validité philosophique et éthique de faire grève, d’abord, mais aussi de faire appel aux tribunaux pour réclamer la poursuite de l’enseignement.
À l’aide d’une utilisation particulièrement intéressante de la scénographie, notamment avec des éclairages amovibles et une immense plateforme oblique qui délimite très bien l’espace de jeu sur la très grande scène de Denise-Pelletier, Choinière réussit ici à créer un cadre franchement efficace pour représenter à la fois l’environnement scolaire, mais aussi la liberté que l’on trouve, paradoxalement, dans des bâtiments souvent oppressants. Points de murs, ici, en effet, mais plutôt une absence de barrières. Apprendre rend libre, après tout, même si ce que nous apprenons peut terrifier.
Il était aussi franchement intéressant d’observer les réactions de la personne qui accompagnait ce journaliste, personne qui est justement formée en philosophie et en éthique. Non pas que l’auteur de la pièce ait péché par paresse, ou qu’il ait emprunté des raccourcis intellectuels impardonnables, bien au contraire: les arguments avancés par les deux protagonistes sont patiemment déconstruits, expliqués, mais sans jamais (trop) prendre le public par la main. Et cet exercice de réflexion, qui se poursuit d’ailleurs dans le programme distribué à l’entrée de la salle, représente bien l’un des piliers soutenant tout l’édifice de la réflexion philosophique: il ne s’agit pas, encore une fois, de déterminer qui a raison, ou qui a tort. Les moeurs, les idéaux et les valeurs changent au fil du temps, mentionnera le professeur… et ce qui est « bien » est donc défini par un contexte socio-économico-politique beaucoup plus large. Sans oublier, bien sûr, qu’il n’est jamais question d’une pensée unique.
Oeuvre marquante, oeuvre intellectuelle sans tomber dans le prosélytisme philosophique ou social, Zoé fait réfléchir. Et c’est tant mieux! À voir, donc, pour mieux comprendre les tiraillements de notre société, qui ressemblent étrangement aux tiraillements des sociétés qui ont précédé la nôtre.
Zoé, d’Olivier Choinière (texte et mise en scène), avec Marc Béland et Zoé Tremblay-Bianco. Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 29 février.