Daniel Grou, qui se retrouve encore malgré lui avec la nécessité de devoir préciser qu’il est bel et bien toujours « Podz », n’est jamais à court d’ambitions, et son retour au grand écran avec Mafia Inc. le prouve encore grandement. Pas par l’entremise de la technique, cette fois, mais plutôt dans sa manière d’aborder un genre et un sujet et tenter de le faire sien. Ici, le film de mafia, pour illustrer qu’il n’y a pas qu’en Italie qu’on y trouve cette déclinaison du crime organisé.
Entièrement fictif, quoique librement inspiré à la fois de la réalité que du roman du même nom, Podz a envie de vitaliser le scénario de Sylvain Guy et d’ainsi éviter le simple biopic, comme l’ont été ses précédents scénarios tel Monica la mitraille et Louis Cyr: l’homme le plus fort du monde.
Entre les mains de Podz, pas question de s’ennuyer, avec son intérêt toujours aussi fascinant pour les magouilles et les petites jobines de l’ombre, continuant autant ce qu’il a exploré dans Les Bougons – c’est aussi ça la vie que dans son King Dave, notamment. Pas question, toutefois, de donner ici dans le bric-à-brac et, au lieu de redonner encore dans les folies de plans séquences, il préfère s’assurer de peaufiner sa technique et de s’en remettre encore au travail d’orfèvre de son excellente monteuse Valérie Héroux.
Magnifiquement mis en images et lumières par Steve Cosens, le long-métrage trouve ses meilleurs coups lorsque Héroux s’assure de laisser les époques se répondre et se compléter, faisant écho à son brillant travail sur le mésestimé L’affaire Dumont, probablement le meilleur film du cinéaste à ce jour.
Le hic, c’est que le film manque de personnalité et ne sait jamais vraiment ce qu’il veut ou aimerait être. Entre le classicisme des films piliers du genre, comme la trilogie de Coppola, et l’exubérance d’œuvres comme La Grande Bellezza, on essaie autant de vouloir choquer que de divertir (l’humour inattendu, mais propre au cinéaste est encore présent quand on s’y attend le moins), et l’aisance n’est pas assez fluide pour laisser les différentes tonalités cohabiter. Surtout, aussi, qu’après avoir relégué la musique à son état le plus minimaliste, on se fait ici plaisir en la surutilisant, histoire d’appuyer ambiance et émotions au point d’enrober beaucoup de vide dans une belle parure.
Sans atteindre l’aspect Jukebox des films de Vallée, Podz donne plutôt l’impression de faire son Dolan avec les jolies compositions de Milk & Bone, qui se mêlent à une excellente sélection musicale qui n’a toutefois que bien peu de pertinence autre que de séduire les oreilles. Cette manie de couper abruptement la majorité des morceaux musicaux ajoute à leur non-importance d’un point de vue narratif.
Le contenant sans contenu
L’ambiguïté se poursuit auprès de la distribution profondément inégale où s’entremêlent beaucoup de mauvais accents qui rappellent les moins bons coups de la deuxième saison de Faits divers. La vulnérabilité de Gilbert Sicotte vient toutefois faire un beau contrepoids au magnétisme de Sergio Castellitto, mais pas assez pour faire oublier le fait qu’Alain Zouvi doit techniquement interpréter un Grec, qu’importent ses lointaines origines turques, ou que Marc-André Grondin n’a plus vraiment ce qu’il faut pour porter un film sur ses épaules, ne réussissant ni à avoir les nuances nécessaires pour approfondir son rôle, ni le doigté requis pour tomber du cabotinage à la gravité en un claquement de doigts. On aurait davantage préféré passer plus de temps avec son double plus grand (oui, ça paraît à l’écran donnant l’impression que le personnage rapetisse avec l’âge) alors que Henri Picard convainc probablement plus dans ses courtes apparitions si on oublie quelques répliques faciles qu’on ne peut pas vraiment lui reprocher.
Le pendant féminisme trop court trop tard n’émancipe pas non plus Mylène Mackay comme il a l’impression de le croire, mais lui offre certainement plus de viande que Forcier ne lui en a offert l’an dernier.
Il est donc dommage que ce qui se donne des airs de grande saga familiale s’avère insuffisant, au final. Bien sûr, on ne sent jamais le côté télévisuel de la carrière de Podz, qui sait toujours judicieusement travailler pour le petit ou le grand écran selon ce qui lui est demandé, mais les deux heures et quart du film n’arrivent pas à nous faire ressentir le poids des émotions auxquelles il essaie d’aspirer.
Les thèmes pratiquement issus de la tragédie grecque sont pourtant aisément compréhensibles dans cette histoire de deux familles différentes, mais entremêlées, d’amitié, de famille adoptive, de jalousie, de descendance et de trahison, mais les événements se déroulent sous nos yeux sans jamais nous offrir la chance de s’y sentir impliqués.
Cette absence de véritable développement psychologique autre que les évidences qu’on nous souligne, tout comme ces personnages auxquels on peut s’identifier ou ne serait-ce que s’attacher, n’aident pas à rendre le film appréciable, bien qu’aisément accessible.
On salut néanmoins la reconstitution d’époque qui vaut son pesant d’or… jusqu’à ce qu’à l’instar de Vivre à 100 milles à l’heure de Bélanger, des pancartes de rue bleu pâle se mêlent dans le cadre…
Mafia Inc. est donc un film qui prêche par efficacité, mais n’a pas tout ce qu’il faut pour élever ses épatants moyens tout comme ses ambitions à la hauteur de ses désirs. Un film standard qu’on aura probablement rapidement oublié à défaut de vouloir faire nos propres recherches pour tenter de découvrir ce qui s’est vraiment passé avec les Rizzuto, qui ont sûrement moins de mélodrames formatés que les Paternò et encore plus de sang sur les mains.
6/10
Mafia Inc. prend l’affiche ce vendredi 14 février en salles. Plusieurs représentations ont également lieu dès jeudi.