Projet qui roule dans la boue depuis des années, on aurait certainement souhaité mieux pour un personnage aussi emblématique de la cause des Noirs que Harriet Tubman, dont le visage sur les billets américains de 20 dollars est de plus en plus incertain. Un rattrapage chez soi pas obligatoire, qui fait drôle de figure dans les cérémonies de prix prestigieuses de ce début d’année.
Bien que la cinéaste Kasi Lemmons ait attiré un peu l’attention avec quelques-uns de ses films, surtout Eve’s Bayou, son premier il y a plus de 20 ans, elle a aussi quelques films douteux à son actif. On ne pouvait donc pas s’attendre à ce que la réalisatrice et co-scénariste de Black Nativity se retrouve aux Oscars!
Certes, on ne l’encense pas vraiment, mais on célèbre plutôt la chanson du générique, Stand Up, excellente pièce co-écrite et interprétée par la succulente Cynthia Erivo, elle-même en nomination comme meilleure actrice. Le hic, c’est que cette actrice au talent inestimable, celle-là même qui enflamme les planches depuis des années, qui a surpris dans Widows, tout en volant la vedette dans Bad Times at the El Royale, est de loin à son meilleur dans un film particulièrement ambigu qui essaie d’être beaucoup trop de choses bizarroïdes à la fois, en tentant de réinventer le biopic et en échouant sur pratiquement tous les fronts, en plus de délaisser le réalisme.
Ainsi, bien que la cinéaste n’a pas renoué avec Samuel L. Jackson, avec qui elle a travaillé à deux reprises, elle essaie néanmoins de faire à la fois Django Unchained et 12 Years a Slave, un mélange qui ne fait aucun sens, puisque le but de chacun n’est pas du tout compatible. On se retrouve alors avec un film qui essaie d’être une reconstitution historique sensée, mais qui ne tombe dans la carte wikipédia soporifique comme l’était Free State of Jones et se retrouve ainsi rehaussé par des éléments qui aident davantage à l’œuvre à sombrer dans le ridicule.
C’est que Harriet Tubman devient un peu cette superhéroïne que rien n’arrête, prête à tout pour arriver à la défense de tout un chacun dans le besoin, véritable guerrière des injustices. Une prémisse engageante, mais qui, scénarisée pour toujours être arrangée avec le gars des vues, en devient vite lassant à force de toujours faire froncer les sourcils. Le fait d’avoir des lieux, mais peu d’indice de temps, ajoutant à l’improbabilité et l’incertitude des distances ou du temps passé entre chaque scène, n’aide pas à la pertinence de l’ensemble.
Qu’importe que le film a bénéficié de la musique de Terence Blanchard, son collaborateur habituel aussi fidèle à Spike Lee, ou même des images de John Toll, double lauréat aux Oscars qui a aussi travaillé sur The Thin Red Line, le film n’échappe pas à des passages douteux, des ralentis discutables et des couleurs horripilantes pour illustrer des souvenirs ou des visions. Bien sûr, on veut nous dire que tout ceci est bel et bien basé sur « les faits », mais le côté autant spirituel que surnaturel, faisant de la protagoniste une envoyée de Dieu a priori invincible, n’aide pas à rendre le film plus convaincant qu’il ne l’est déjà.
On apprécie bien sûr les jolies reprises des chansons puisées dans le répertoire des chants d’esclaves, comme Hold On et Wade in the Water, mais les versions sont rendues si modernes pour égayer l’oreille qu’on a envie de crier aux anachronismes aux deux secondes. D’autant plus que la présence d’une chanson de Nina Simone dans un film sur l’esclave est rendu un cliché beaucoup trop prévisible.
On se désole alors de voir la majorité des acteurs se commettre dans des performances qui semblent sorties d’un film de série B. Joe Alwyn a beau être à contre-emploi, on s’ennuie de The Favourite, qui lui avait également permis de vêtir des habits d’époque, alors qu’on regrette que la lumineuse Janelle Monae se retrouve encore dans une production non représentative de son talent.
Les suppléments montrent toutefois la fierté certaine de toute l’équipe d’avoir collaboré à un film aussi « important « . Si les quelques scènes supprimées n’ajoutent décidément rien à ce film certainement déjà trop long, il est plus intéressant d’entendre certain des membres de l’équipe parler du projet que de voir le résultat final. Il y a quelques segments d’entrevues et making of de quelques minutes, mais il ne faut pas trop en demander à la réalisatrice qui livre aussi ses commentaires audio, puisque sa passion ne fait vite reprendre par ses propos étranges qui prouvent qu’elle n’a pas beaucoup de goût pour savoir ce qui fonctionne vraiment, tout comme qu’elle a une drôle de façon d’interpréter les choses. On pense à lorsqu’elle raconte que le tournage d’un scène a été sauvé par une aide miraculeuse, comme si Harriet elle-même leur envoyait sa bénédiction du ciel. Oui, il faut l’entendre pour le croire.
Harriet est donc un film nécessaire, mais ça on le dit souvent pour bien des projets qui ne méritent pas d’attention. Celui-ci en fait partie, puisqu’il n’arrive jamais à être à la hauteur de son sujet, et ce à tous les niveaux possibles. Difficile de croire que c’est le premier scénario de Gregory Allen Howard depuis Ali, lui qui avait aussi si bien satisfait avec Remember the Titans. Dommage.
4/10
Harriet est disponible via Universal en DVD et en combo blu-ray et DVD depuis le 28 janvier dernier.