Dans une chambre face à la mer, un homme reçoit une femme, toutes les nuits. Du moins, il aurait pu la recevoir. Le texte de Duras raconte ces rendez-vous hors du temps, comme on ravive un souvenir ou qu’on affine un fantasme. L’adaptation à deux voix de La maladie de la mort, par Martine Beaulne, met en scène cette rencontre possible, au théâtre Prospero.
Le cadre est clair et simple, d’entrée de jeu : Un homme payant une femme pour qu’elle lui rende visite, tous les soirs et jusqu’au matin. Dans un mouvement de va-et-vient rappelant celui des vagues, les nuits s’allongent et se retirent, sans qu’on ne sorte de la chambre. Tel un huis-clos de l’esprit – de la mémoire ou de l’imaginaire – la pièce captive ses deux personnages dans une recherche de l’amour, de la rencontre difficile de l’autre.
Si la lecture des romans de Marguerite Duras peut paraître ardue à certains, l’écoute de ce texte est, lui, d’une grande douceur. Alors que les personnages se racontent, les répétitions et les évocations plongent le public dans un jeu de projection: le sentiment interfère avec l’intellect, si bien qu’on est transporté d’échange en échange, sans arriver à asseoir un sens définitif à la quête de l’un, au rôle de l’autre. On se laisse bercer et c’est un grand plaisir à ressentir.
La proposition musicale de Vincent Beaulne accompagne ce voyage avec grande finesse. Dans cette chambre figée par le ressac des rencontres, la lumière évolue, la pluie coule sur les fenêtres, mais surtout, le son des vagues et de la flûte monte et descend, avec la mer, avec l’arrivée du jour. La scénographie offre aussi ce mur hypnotisant, à la fois vagues, draps et papier chiffonné.
L’adaptation théâtrale est très fidèle à la voix de l’autrice, qui mêle sensualité et amour, vie et mort. Les personnages accusent le manque de franchise et les espaces vides laissés par le discours, ajoutant aux couches de sens que les mots portent déjà. Martine Beaulne en a fait une mise en scène où la valse des corps découpe l’espace et le temps, comme une suite de cliché photographique où l’attention s’arrête. Ces déplacements généralement minimalistes permettent aux enjeux de se transmettre via le texte, bien entendu, mais laisse aussi une grande place au jeu des deux comédiens.
Car le choix du duo d’acteurs est, en lui-même, une raison d’aller voir La maladie de la mort, dans les semaines à venir. Sylvie Drapeau et Paul Savoie se partagent la scène avec grande adresse et sensibilité. C’est un texte qui voile et révèle à la fois, où les interprètes doivent avoir le génie de la subtilité et de la justesse, du sourire qui surprend, de la voix qui fend sans rompre, de la colère qui tonne sans frapper.
La courte heure de théâtre rempli son mandat et transporte ses spectateurs dans un autre lieu de la conscience. Amant de la littérature et de la scène, vous trouverez assurément une grande beauté dans l’expérience qui se joue au théâtre Prospero, ce mois-ci.
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