Après avoir créé Fables, l’un des meilleurs comics pour adultes qui soit, le scénariste Bill Willingham continue de poser un regard étonnamment mature sur les personnages des contes de notre enfance, avec la série Jack of Fables.
Relocalisant les personnages les plus célèbres des contes de fées à New York, dans le monde bien réel d’aujourd’hui, la série Fables figure dans mon Top 5 des meilleurs comics de tous les temps. Le génie du créateur Bill Willingham est de transposer les héros ayant bercé notre enfance dans le monde des adultes, et de les présenter sous un éclairage bien différent de la version édulcorée de Disney. Le Grand Méchant Loup devient un détective de film noir, le Prince charmant n’est plus qu’un vulgaire gigolo, et Pinocchio est en colère parce que, étant fait de bois, il ne connaîtra jamais les plaisirs de la chair. Avec un tel filon, pratiquement inépuisable, la fin de la série en 2015 en a surpris plusieurs, mais heureusement, Willingham continue de faire vivre cet univers singulier avec Jack of Fables.
Aussi connu sous le nom de Jack Frost, Jack O’Lantern ou Jack-de-tous-les-contes, Jack Horner, le jeune homme ayant escaladé la tige d’un haricot magique et terrassé des géants, est le héros de Jack of Fables. Bien qu’on ait croisé à maintes reprises ce coureur de jupon idiot et imbu de lui-même dans Fables, c’était une excellente idée de lui donner sa propre série. Banni de Fableville, Jack sera kidnappé et emmené aux Rameaux d’Or, une « résidence de retraite » où croupissent les personnages de contes oubliés, mais il parviendra à s’enfuir, et ce premier volume suit sa cavale sur les routes américaines, de l’Idaho au Nouveau-Mexique, en passant par le Wyoming et l’Arizona, avec à ses trousses les trois sœurs Page, aussi belles que redoutables.
Jack of Fables reprend la formule de Fables, et le titre de chaque épisode s’accompagne d’un court descriptif amusant (« Où il est question d’un œuf et d’un bœuf, de lendemains qui déchantent, et d’une bagarre entre deux ivrognes »). On retrouve certains personnages familiers de la série mère, comme Boucle d’Or ou Kevin Thorne, le journaliste dont la mémoire a été effacée alors qu’il s’apprêtait à révéler les secrets de Fableville, mais Bill Willingham et son comparse Matthew Sturges puisent dans le vaste répertoire des contes pour s’amuser avec de nouveaux protagonistes, parmi lesquels Humpty Dumpty, Paul Bunyan, Mère l’Oie, Alice, ou Dorothy et ses compagnons du Magicien d’Oz.
Dans Jack of Fables, une bonne partie des personnages sont conscients d’être dans une bande dessinée, et ils ne cessent de briser le quatrième mur pour s’adresser directement au lecteur, et ce dès l’introduction de l’album, signée par Jack Horner lui-même. Surpris au réveil dans une case, le héros suggère qu’on aille relire le début du livre, le temps qu’il s’enlève la croute collant ses paupières. Le propriétaire des Rameaux d’Or, un certain monsieur Revise, s’étonnera à voix haute qu’il ait fallu deux scénaristes pour écrire l’histoire invraisemblable et peu crédible dans laquelle il se trouve, et au beau milieu de l’action, Gary, le fidèle acolyte de Jack, s’écriera « Vous n’avez pas peur de perdre des lecteurs trop frustrés par la lenteur dans la progression de l’intrigue? ». C’est comme du Blier en BD.
Ce premier volume de Jack of Fables regroupe les 16 premiers numéros de la série. À l’exception de l’épisode consacré à Jack O’Lantern, dessiné dans un style différent par Andrew Robinson, la majorité de l’album est illustré par Tony Akins (Hellblazer, Wonder Woman). Malgré le ton adulte de l’intrigue et la violence de certaines scènes (Toto, le chien de Dorothy, sera complètement éviscéré par un tigre dans une case), les planches demeurent lumineuses et colorées, et on apprécie sa modernisation de l’iconographie des contes de fées. Il dessine le lièvre de la fable avec un bandeau de marathonien par exemple, tandis que sa tortue arbore des garde-boues et un numéro peint sur sa carapace. L’album se termine sur un carnet de croquis, et une galerie des couvertures de James Jean et Brian Bolland.
Proposant la version la plus adulte des héros de contes de fées qu’on puisse imaginer, Jack of Fables n’est peut-être pas une bande dessinée à message, mais les aventures iconoclastes de ce héros égocentrique et stupide sont très amusantes, et continuent de belle façon l’héritage de la série Fables.
Jack of Fables Volume 1, de Bill Willingham, Matthew Sturges, Tony Akins et Andrew Pepoy. Publié aux éditions Urban Comics, 416 pages.
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