Roman puissant, roman émouvant, roman dérangeant: La mort de Roi, première oeuvre littéraire de Gabrielle Lisa Collard, vient un peu brasser la cage en mettant en scène Max, jeune femme en apparence tout à fait ordinaire, propre sur elle, respectueuse des normes, mais qui cache en fait un lourd secret.
Car Max aime un peu trop les gens. Assez, en fait, pour s’introduire chez eux lorsqu’elle était jeune, histoire de les espionner, certes, mais simplement pour découvrir leur mode de vie, leurs petits travers, parfois leur côté caché avec soin.
Plus tard, la mort de Roi, son chien adoré, poussera Max dans ses derniers retranchements. Elle passera alors à la vitesse supérieure: plutôt que de simplement s’inviter chez les gens, elle se plaira à tuer, puis à démembrer les corps de ses victimes avant d’aller les cacher sur le terrain de sa résidence secondaire, à la campagne.
S’il est difficile de ne pas voir ici une ressemblance frappante avec le personnage de Patrick Bateman, dans American Psycho, de Bret Easton Ellis, il n’y a que dans cette folie meurtrière que Max et Bateman se rejoignent. Car si le fringant et psychotique vice-président est méticuleux jusqu’à l’obsession, voire carrément obsédé par certains aspects de sa vie – qui a oublié les chapitres entiers du livre consacrés à divers albums de musique de l’époque? Ou encore ce quasi-épisode de folie lorsque vient le temps de comparer des cartes professionnelles? –, Max, elle, vit une vie que l’on pourrait qualifier d’ordinaire. Elle est prise dans le trafic sur la Métropolitaine. Porte du mou. Rassemble ses cheveux en une toque qu’elle attache avec un élastique.
Paradoxalement, cette normalité, si l’on peut appeler normalité cette envie quasiment irrépressible de tuer, est ce qui vient gâcher La mort de Roi: on sent certainement la colère du personnage principal envers la société, et nul doute qu’une bonne partie des frustrations vécues par l’auteure – que ce soit à propos de la grossophobie, par exemple, ou des violences faites aux femmes – se sont retrouvées à l’intérieur du manuscrit, mais à travers toute cette énergie littéraire, toute cette fureur de vivre, de sortir du moule, de ressentir quelque chose, peu ou pas de trace d’une structure scénaristique solide dans ce roman.
Bien entendu, Max ne tue pas vraiment au hasard. Ceux qui tombent sous ses coups sont d’abord des hommes; surtout des hommes qui ont commis des bassesses, qui ont agressé ou qui ont lancé des remarques particulièrement désobligeantes. Mais peut-être s’est-on trop habitué aux romans policiers traditionnels, où les victimes, tuées par un individu vengeur, ont généralement quelque chose de particulièrement grave à se reprocher. Dans La mort de Roi, lorsque vient le temps de tourner la dernière page et de conclure cette aventure littéraire, on ressent un certain vide, un manque. Comme si le livre était incomplet.
Cela ne veut pas dire que La mort de Roi est inintéressant, voire un mauvais livre. Cela signifie plutôt qu’avec ce premier roman, Gabrielle Lisa Collard établit les bases d’une carrière littéraire prometteuse.
La mort de Roi, de Gabrielle Lisa Collard. Publié chez Cheval d’août éditeur, 160 pages.