Waves partie de ces œuvres coup-de-poing qui renversent, mais fascine également par les diverses nuances et la profondeur qui le composent. Non, on ne sort pas indemne de cet excellent film, soyez-en prévenus.
La peur de l’autre, des autres et du même coup, de soi-même, semble être au cœur des préoccupations et des œuvres du cinéaste Trey Edward Shults. Pourtant, après une incursion dans l’horreur avec l’acclamé It Comes at Night, voilà qu’il a décidé de revenir au drame sans pour autant délaisser la famille, sa manière bien à lui de critiquer la société en tant qu’ensemble.
Sauf que son affection du fond et de la forme l’empêche de donner dans le conventionnel, et c’est là qu’il s’amuse autant dans ses forces que ses faiblesses. À commencer par un jeu de ratio de l’image pas toujours justifiable, sans pour autant tomber dans l’esbroufe, comme c’était le cas avec l’insupportable Lucy in the Sky.
Ainsi, continuant de donner des rôles troubles au toujours excellent Kelvin Harrison Jr, Shults s’intéresse à la course à la performance et aux difficultés du bien-paraître dans un film qui se penche à la fois sur une société, mais aussi sur un microcosme, déclinant sous la loupe un regard singulier sur une famille aux allures typiques des États-Unis.
Le problème est que cette famille brisée de l’intérieur est constamment au bord de l’implosion et que ses dégâts semblent impossibles à réparer. Dans une étourdissante ouverture, sublime dans cette manière tourbillonnante de filmer le quotidien dans un montage accrocheur sous les airs de Be Above It de Tame Impala (parmi les nombreux choix musicaux pas toujours subtils, surtout dans les paroles), le film s’immisce toujours plus dans les détours qui font craqueler peu à peu les dehors a priori parfaits des sujets.
C’est de cette manière que l’étau se resserre et que la pression, sous forme de diverses tensions, la trame sonore de Trent Reznor et Atticus Ross incluse, assène tout à la fois les personnages que le spectateur dans un segment d’une grande intensité qui jouera sur les nerfs de tous.
Bien sûr, loin de nous l’idée de révéler les surprises du scénario, mais s’il prendra soin de ne jamais trop en dire dans les rôles mystérieux et fragiles des parents, interprétés avec dévotion par les toujours justes Sterling K. Brown et Renée Elise Goldsberry, il s’assurera de suivre l’exemple d’autres contemporains pour bien exprimer les retombées de certains gestes, tout comme l’importance des points de vue. Rappelant un peu ce que le touchant Wonder faisait et retrouvant la construction surprenante du Genèse de Philippe Lesage, Shults décline ainsi son long-métrage en deux temps, en deux tons et en deux thèmes.
Usant d’une chute pour y faire ressortir un espoir non-négligeable, offrant un nouveau excellent rôle à Lucas Hedges (toujours meilleur quand on ne le force pas à jouer aux petits bums de service), il vient équilibrer son ensemble par la présence délicate de Taylor Russell.
Certes, Waves s’intéresse à des élites et son parti pris pour la richesse aide peut-être pour mieux fragiliser son château de cartes, surtout lorsque celui-ci dégringole, mais son impact n’est pas toujours positif quand vient le temps de se retrouver dans ces personnages et cette réalité.
Néanmoins, plusieurs de ses observations sont justes et nécessaires dans sa manière de parler de notre époque, de ses troubles, mais aussi de son rapport aux races, oui, mais aussi aux afro-américains.
Voilà donc un excellent film à voir et à revoir et un film qui joue habilement sur les codes du coming-of-age, en se concentrant d’avantage sur la manière de faire grandir d’abord et avant tout ses spectateurs, plutôt que ses personnages qui, de leur côté, apprennent plutôt à se découvrir véritablement.
8/10
Waves prend l’affiche en salles ce vendredi 6 décembre.