Il est bien difficile, de nos jours, d’échapper à l’emprise d’Amazon. Le géant du web est effectivement partout, que ce soit du côté du magasinage en ligne, ou encore des services d’hébergement, pour ne nommer que ces deux aspects de la vie corporative de l’empire de Jeff Bezos. Alors que le « Cyber lundi » promet de nouvelles ventes importantes pour l’entreprise, le documentaire Le monde selon Amazon explore le métaphénomène commercial.
Réalisé par Adrien Pinon et Thomas Lafarge, des Productions du Rapide-Blanc, le film, narré par l’irremplaçable Richard Desjardins, tente de résumer le géant numérique en 90 minutes, y compris en se penchant sur les impacts économiques, sociaux et politiques de la montée en puissance de ce géant. Lancée d’un garage californien, d’où les trois employés originels expédiaient une vingtaine de livres chaque jour, la compagnie expédie aujourd’hui plusieurs milliards de colis par année, et est associée, en Occident, au concept même de commerce électronique.
À la tête de ce mastodonte, on trouve bien évidemment M. Bezos, l’homme le plus riche du monde, avec plus de 100 milliards de dollars dans les poches. Cela lui permet non seulement de financer l’exploration spatiale, avec Blue Origin, mais aussi – et surtout – de se donner bonne conscience en déliant quelque peu les cordons de la bourse (ou plutôt en s’octroyant une déduction d’impôts, quelque part), lorsqu’il sent que la pression est trop forte.
Après tout, nous indique le documentaire, personne ne devient l’homme le plus riche du monde en octroyant de bonnes conditions de travail à ses employés, ou en jouant franc-jeu dans un marché économique. Du moins, personne ne devient aussi riche aussi rapidement. Les reportages et les révélations ne manquent pas, d’ailleurs, sur les impacts négatifs d’Amazon, les conditions de travail inhumaines dans les entrepôts, ou même le recours au cheap labor lorsque vient le temps de faire livrer les colis par des sous-traitants qui, à leur tour, embauchent des travailleurs forcés d’aller aux toilettes derrière leur véhicule pour maximiser leur efficacité, histoire d’obtenir quelques dollars par livraison.
Tout cela est connu, donc, mais il est intéressant d’avoir ici droit à une synthèse. D’autant plus que tous connaissent l’engagement de Richard Desjardins en faveur de la justice sociale et de la défense des droits de la population face aux grandes entreprises. Parlant des droits de la population, le documentaire effectue un détour fort à propos en Inde, où l’arrivée d’Amazon et de deux autres entreprises, dont une filiale d’Alibaba, l’équivalent chinois du géant américain, fait craindre le pire dans une économie s’appuyant encore sur de petites boutiques, de petits marchands et des échanges parfois officieux.
Force est d’admettre, toutefois, que dans nos économies développées, où Amazon est déjà implantée, impossible de « remettre le dentifrice dans le tube » et de revenir à une époque où le commerce électronique était moins présent. D’ailleurs, est-ce bien souhaitable? Car le fait d’avoir accès à une vaste gamme de produits à un clic de souris de distance est avantageux pour bien des gens n’ayant pas les moyens de se rendre à des magasins parfois très lointains pour effectuer leurs emplettes. Le hic, c’est quand le vendeur en question adopte des politiques monopolistiques, pousse ses concurrents à la ruine, est si riche qu’il peut se permettre d’écraser le marché en perdant de l’argent, ou encore quand il accumule tellement de données sur ses consommateurs (achats, mais aussi consommation de média avec Amazon Prime, historique de navigation avec Amazon Web Services, voire carrément des extraits de conversations avec les différents assistants personnels) qu’on commence sérieusement à se dire que cela fait beaucoup, mais vraiment beaucoup de pouvoir pour un seul homme.
Si Le monde selon Amazon doit forcément parfois tourner les coins ronds – il s’agit d’un documentaire de moins de 90 minutes, après tout –, le film effectue un excellent travail lorsque vient le temps de résumer une situation complexe. Souhaitons que l’oeuvre documentaire des deux réalisateurs se poursuive… et qu’Amazon soit éventuellement mise au pas. En attendant, il est toujours possible d’acheter en ligne, certes, mais d’acheter ailleurs. Ou de se rendre directement en magasin, lorsque l’occasion le permet.