Si vous n’avez pas encore eu la chance de voir Chernobyl, une minisérie relatant la plus grave catastrophe nucléaire du 20ème siècle, sa sortie en Blu-ray et DVD vous permettra de découvrir l’une des meilleures productions télévisuelles de 2019.
La plupart d’entre nous savons que le 26 avril 1986, à 1h23 du matin précisément, le réacteur numéro 4 de la station nucléaire Vladimir I. Lénine (mieux connue sous le nom de Tchernobyl à cause de sa proximité avec la ville ukrainienne) a subitement explosé, causant une catastrophe encore plus dévastatrice que celle de Fukushima, mais au-delà des grands titres des journaux et des versions « officielles » concoctées par les propagandistes de l’ex-U.R.S.S., jamais le récit de ce désastre n’aura été aussi détaillé (et révélateur) que dans Chernobyl, un docu-fiction qui fait de l’Histoire un véritable thriller, la rendant encore plus palpitante et spectaculaire que n’importe quel drame fictif.
En partant, un État libre et démocratique aurait eu de la difficulté à gérer les conséquences d’un accident nucléaire d’une telle envergure, mais la catastrophe de Tchernobyl, déjà terrible en elle-même, a été empirée encore plus par les agissements du gouvernement de l’ancienne Union Soviétique, où toutes les décisions étaient prises par le Comité Central du Parti Communiste, et où chaque bribe d’information était soigneusement contrôlée par les membres du Politburo et du KGB, qui considéraient « la panique plus dangereuse que la radioactivité ». Le résultat est un pur cauchemar bureaucratique qu’exploite à fond la minisérie, en relatant en détail la gestion de crise pendant les quinze mois suivant la tragédie.
Les autorités niaient toujours l’explosion 12 heures après les faits, et au lieu d’évacuer les populations à risque, Mikhaïl Gorbatchev, alors secrétaire général du Comité central du Parti communiste, coupa plutôt les communications et envoya 4000 policiers sur place dans l’espoir d’étouffer l’affaire. Bien qu’il se trouvait à proximité d’une centrale nucléaire, l’hôpital de Prypiat n’avait pas de réserves de capsules d’iode, le seul médicament pouvant neutraliser les radiations, alors que des centaines de malades se ruaient à son urgence. Pire, les Soviétiques n’ont admis la situation au reste du monde que trois jours plus tard, après que des scientifiques en Suède aient décelé un niveau de radioactivité anormal en provenance de l’Ukraine.
Chernobyl utilise le personnage de Valeri Legassov (joué de main de maître par l’acteur Jared Harris), un scientifique chargé de neutraliser les radiations de la centrale et d’en atténuer les retombées, comme guide pour ce voyage au cœur de la bureaucratie kafkaïenne et de l’incompétence du régime communiste. On apprécie la relation se tissant peu à peu entre lui et Boris Chtcherbina, le vice-président du conseil des ministres dont le rôle a été confié à l’excellent Stellan Skarsgård. Le comédien renoue d’ailleurs avec sa partenaire de Breaking the Waves, Emily Watson, qui incarne ici Ulana Khomyuk, l’un des rares personnages fictif de la minisérie.
La réalisation de Johan Renck, qui signe les cinq épisodes, est rien de moins qu’exceptionnelle, et Chernobyl multiplie les images magnifiques, mais lourdes de sens. Une scène montre par exemple les enfants de Prypiat qui, ne se doutant de rien, s’amusent sous les cendres radioactives flottant dans les airs. La production reconstitue avec une fidélité déconcertante la gigantesque centrale éventrée, et contrairement à la majorité des séries modernes, les décors ont vraiment l’air habités, et non pas construits uniquement pour les besoins du tournage. La direction artistique s’appuie aussi sur l’esthétique purement fonctionnelle et laide du design communiste pour peupler chaque lieu d’objets ternes et carrés.
Le coffret Chernobyl contient les cinq épisodes d’une heure chacun sur deux disques au format Blu-ray, et s’accompagne d’un code pour télécharger une copie numérique. Chaque épisode inclut sa propre revuette, où le réalisateur, l’auteur et les acteurs parlent des thèmes qui y sont abordés. Le matériel supplémentaire compte également un court documentaire expliquant le contexte historique, un portrait de chacun des trois personnages principaux, une entrevue avec le réalisateur qui explique son approche, et deux revuettes dévoilant les coulisses de certaines scènes de la minisérie.
C’est bien beau les dragons et les parcs d’amusements futuristes peuplés d’androïdes, mais Chernobyl accomplit l’exploit de divertir tout en instruisant, et cette minisérie troublante, enrageante et terrifiante constitue un visionnement essentiel à l’heure où la crise environnementale remet la question du nucléaire sur la table.
9.5/10
Chernobyl
Réalisation : Johan Renck
Scénario : Craig Mazin
Avec : Jessie Buckley, Jared Harris, Stellan Skarsgård, Adam Nagaitis, Emily Watson, Paul Ritter et Donald Sumpter
Durée : 321 minutes
Format : Blu-ray (+ copie numérique)
Langue : Anglais, français, espagnol, portugais et tchèque
Un commentaire
Pingback: Critique Chernobyl - Patrick Robert