Le climat nordique nous pousse à saler les routes en hiver afin de les rendre sécuritaires. Un déversement qui se poursuit souvent l’été pour limiter la poussière des voies les plus fréquentées. Or, depuis de nombreuses années, les chercheurs ciblent ces sels d’épandage comme étant nocifs, non seulement pour les écosystèmes des bords des routes, mais aussi pour les milieux humides.
Car ils se retrouvent dans les lacs et les rivières. « Le chlorure de sodium, le plus utilisé, affecte les populations aquatiques, explique Claudie Ratté-Fortin. Il est toxique pour les poissons et les mollusques – à forte dose, c’est létal pour eux – et modifie l’équilibre du phytoplancton et la croissance des algues », poursuit celle qui est candidate au doctorat en sciences de l’eau au Centre Eau Terre Environnement de l’INRS.
Avec deux autres jeunes collègues, Anne Carabin et Patricia Gomez, l’étudiante a développé un outil de gestion, le GuIA. Cette plateforme interactive soutenue par l’intelligence artificielle vise à optimiser l’épandage en recommandant le meilleur mélange de fondant et la quantité à appliquer sur un tronçon de route précis, en fonction de la météo ambiante.
Les premières simulations, menées dans le quartier Limoilou de Québec, ont permis une réduction de 10 à 40% de la quantité de fondants à déverser.« La bonne dose au bon moment au bon endroit, explique Karim Chokmani, est un principe connu en agriculture mais moins appliqué en sécurité routière, où l’on a tendance à en mettre trop pour garantir la sécurité. Pourtant, il faut réduire l’application des sels de déglaçage car ils perturbent notre environnement et sont difficiles à enlever », souligne ce spécialiste de télédétection et d’hydrologie qui encadre les travaux de recherche de Mme Ratté-Fortin.
La géolocalisation des camions optimisera par exemple les trajets tout en prenant en compte les zones identifiées comme vulnérables —milieux sensibles et eaux souterraines. Un épandage de précision sera également susceptible d’entraîner des gains économiques. « La capacité d’auto-apprentissage de l’IA automatisera la gestion de l’épandage de manière fine en fonction des variations locales (température de surface, niveau de service du tronçon, etc.) », explique encore Mme Ratté-Fortin.
Cet outil a récemment remporté un prix au concours d’Aqua Hacking 2019, qui devrait permettre à l’équipe de Clean Nature de réaliser un réel projet pilote dès cet hiver.
La dose qui fait le poison
Le code de pratique canadien pour la gestion environnementale des sels de voirie recommande que les organismes concernés élaborent des plans pour améliorer leurs pratiques d’entreposage des sels, d’épandage sur les routes et d’élimination de la neige. Pourtant, plus de 15 ans après la mise en œuvre de ce code, la gestion des sels laisse encore à désirer.
Une trop grande quantité utilisée chaque année s’accumule sur les bas-côtés des autoroutes. « Cela change la végétation des premiers mètres. Nous pouvons avoir un bon signal lorsqu’il y a recrudescence d’herbe à poux, la seule plante capable de résister à cette agression », relève le chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI) du Cégep de Sorel-Tracy, Marc Olivier.
Son équipe de recherche a mis au point une solution verte, un acétate mixte de calcium et de magnésium biodégradable. D’autres solutions vertes font l’objet d’expérimentations et de projets pilotes. Par exemple, le jus de betteraves, une solution écolo testée depuis peu à Sherbrooke et à Winnipeg. « C’est un résidu peu dispendieux, avec un petit désavantage qu’est sa couleur, mais qui joue son rôle d’adhésif lorsqu’il ne fait pas trop froid », soutient le chimiste spécialisé en environnement.
La solution serait de varier les solvants, de les utiliser avec parcimonie aux endroits et aux moments nécessaires, pour limiter les dommages à la nature. Ainsi qu’aux infrastructures, comme le tablier de béton du Pont Champlain attaqué par les sels. Ce que prône la jeune équipe de Clean Nature: utiliser l’IA pour épandre juste ce qu’il faut, là où il le faut.
Pour contrer la pollution de l’air, sommes-nous battus par la nature?