Chaque nouveau film de Rian Johnson est moins intéressant que le précédent. Cette réflexion continue de se concrétiser avec le délirant Knives out, qui aurait gagné à mieux faire confiance à son spectateur au lieu de jouer au plus malin avec lui.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le cinéaste Rian Johnson ne manque pas d’idées, lui qui s’amuse avec le cinéma comme bien peu, redéfinissant constamment ses possibilités entre trouvailles et références. Il s’était quand même fait connaître en nous livrant le brillant Brick, un film noir à hauteur d’adolescents!
Après s’être attaqué à la science-fiction de manière plus expérimentale avec Looper et à grande échelle avec le controversé Star Wars: The Last Jedi, voilà que Johnson décide de revenir à quelque chose de plus modéré, sans toutefois négliger la distribution de prestige. Mieux, il décide de renouer à ses premiers amours, des meurtres et des mystères, et de se rapprocher davantage de ses trois épisodes de la télésérie Breaking Bad, de loin les meilleurs de toute la série.
Les séries policières ont la cote depuis des décennies et le public a toujours un sournois plaisir à se pencher sur différents cas de meurtres. Sauf que ces derniers misent souvent davantage sur le côté dramatique que le côté ludique, un peu comme en faisait foi la très ennuyeuse relecture d’Agatha Christie qu’avait offert Kenneth Branagh avec Murder on the Orient Express.
Johnson a lui aussi souvent eu cette manie ce qui en a fait sourciller plus d’un quand il s’est essayé avec quelque chose de plus léger avec son mésestimé The Brothers Bloom. Ayant pris de l’assurance face à son nom qui n’a pas cessé de revenir aux oreiles de tout un chacun, voilà qu’il est fin prêt pour nous offrir un vrai film de détective, délectable à souhait, de quoi renvoyer aux oubliettes le plus caricatural Clue d’il y a plus de trente ans.
Bien que le film se déroule à notre époque, avec juste assez de technologie et de références pour nous ramener à l’ordre, un classicisme évident se laisse ressentir de la production, fortement soignée dans toute sa technique et son côté artistique (même dans la trame sonore de Nathan Johnson, cousin de l’autre, d’ailleurs).
On connaît la rengaine: le patriarche d’une riche famille bourgeoise meurt et ce qu’on déclare comme étant un suicide soulève bien des questionnements au fur et à mesure que les détails de la soirée qui a précédé le décès remontent à la surface. Encore plus avec la présence d’un détective pas piqué des vers: Benoit Blanc, interprété par un irrésistible Daniel Craig qui nous rappelle à quel point il peut-être excellent quand il a envie de tourner (on craint le pire pour sa dernière incarnation de l’agent 007, surtout après le déplorable Spectre).
À cela, mentionnons immédiatement la qualité significative des acteurs rassemblés. Si Jamie Lee Curtis représente toujours un plaisir inévitable, on grossit le trait avec Don Johnson et on délire avec les nombreux Toni Collette, Chris Evans, Michael Shannon, LaKeith Stanfield, Christopher Plummer, l’essentielle K Callan, et autres Jaeden Martell qui prennent tous leur pied avec des personnages pour la plupart plus grand que nature et des interprétations jamais bien loin de ce qu’on considérerait de jouissif.
Sauf que pour bien mettre en marche sa critique sociale (il est difficile de s’en sauver à notre époque), Rian Johnson a créé tout un guet-apens pour son spectateur en le leurrant avec des noms alléchant qui ne serviront que d’appât. Déloyal, peut-être, puisque la majorité des moments des « gros noms » de la distribution se retrouvent déjà dans les campagnes promotionnelles, mais au moins, Ana de Armas, véritable vedette de toute cette affaire, a tout le talent nécessaire pour garder intact notre intérêt, surtout avec ce flash fabuleux que le scénario lui a conféré.
Par contre, c’est aussi là que Johnson commence peu à peu à se mettre les pieds dans les plats.
Certes, il y a une ingéniosité certaine à nous garder captivés, à prendre son temps dans le rythme et à ne pas nécessairement suivre le schéma le plus familier, transformant constamment le véritable objet de notre désir. Comme quoi si au début on pense qu’il faudra trouver le meurtrier, on réalisera que la vérité s’avérera certainement beaucoup plus complexe qu’elle n’en avait l’air.
Dommage alors que l’assurance de Johnson a avalé de beaucoup sa subtilité. Pas de finesse dans les indices soulignés à gros trait et moins de brio qu’espéré dans les revirements et les trouvailles alors que sans pour autant se lancer dans un Rashomon, on ne s’amuse définitivement pas assez sur la subjectivité des points de vue ni sur le dévoilement des révélations dont on nous grandit beaucoup trop l’attente pour le résultat.
De fait, le long-métrage ressemble beaucoup à Bad Time at the El Royale qui ne parvenait pas non plus exactement à répondre à toutes ses promesses. Sauf que Johnson est un brin moins original que Drew Goddard et il préfère davantage multiplier ses références, ressemblant, comme la grande majorité de ses contemporains, à un descendant d’un film de Wes Anderson. Ici, The Grand Budapest Hotel.
Heureusement, son talent est tout de même flagrant. Knives Out n’est jamais désagréable à regarder, surtout via le regard de son directeur photo complice Steve Yedlin (dont leurs collaborations marquent ses seuls projets d’importance de sa filmographie d’ailleurs) et au mieux, il divertit beaucoup et, surtout, fait énormément rire.
On reprochera donc au film, à défaut d’être bien au-dessus des productions moyennes destinées à un large public, de ne pas nous chavirer et de bien peu nous étonner ou nous surprendre, à l’instar de Ready or Not ou de Game Night, qui se défait de toute implication émotionnelle pour le divertissement sans se jouer avec plus d’aplomb des limites infinies du septième art.
7/10
Knives Out prend l’affiche en salles ce mercredi 27 novembre.