Le mois dernier, chez Philippe Picquier, paraissait la première traduction française d’un roman de Kwon Jeong-hyun. Le verbe, dans La langue et le couteau, est tout ce qu’il y a de truculent. Il fait plus que donner le sens, il est le sens. Plus on y repense, plus le style de Kwon rappelle celui de Thanh-Van Tran-Nhut, la créatrice des enquêtes du mandarin Tân, mais sur un ton nettement plus grave.
Débutant sur un ton badin, en racontant la naissance incroyable de l’aïeul du héros, le roman racontera peu à peu les horreurs de l’occupation japonaise en Manchourie, à l’approche des soldats russes, sans ignorer aucun des coins les plus sombres de cette triste époque de fin de Deuxième Guerre mondiale. Le cuisinier Chen et sa protégée tenteront, avec leurs maigres moyens et leur foi révolutionnaire, de percer les défenses de l’occupant, de l’intérieur. Mais dès lors que Chen est démasqué, le commandant en chef de l’armée d’occupation, qu’il a tenté d’empoisonner, le confinera à ses chaudrons et le maintiendra sous son emprise, exigeant qu’il se surpasse, jour après jour.
Cette lutte à finir entre un résistant et un envahisseur se déroule sur un ton de poésie gustative et de philosophie alimentaire. De quoi nous aider, un tant soit peu, à avaler la longue litanie de tortures et de viols qui, toujours, dans l’histoire de l’humanité, ont tapissé le sol foulé par l’impérialisme. Sombre roman, certes, mais lumineuse écriture. À dévorer.