L’avertissement est clair: si les gouvernements de la planète n’adoptent pas des politiques plus strictes en matière de production de combustibles fossiles, ils rateront d’au moins 50% la cible établie pour respecter le réchauffement maximal de 2 degrés de la température moyenne, en vertu de l’accord de Paris sur le climat.
Le constat, publié dans un rapport intitulé The Production Gap, et produit par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), en collaboration avec divers organismes et agences, dont l’Institut de l’environnement de Stockholm, est donc clair. Pire encore, affirment les experts, le surplus de production du gaz, du pétrole et du charbon est de 120% comparativement aux normes à adopter pour atteindre la cible du réchauffement moyen de 1,5 degré comparativement aux températures pré-industrielles.
Cette deuxième cible est considérée comme la plus avantageuse pour l’humanité, puisque les conséquences climatiques seraient moins catastrophiques.
Selon le rapport, cet « écart de production mondial » est même plus important que celui portant sur les émissions de gaz à effet de serre, pourtant bien supérieures, elles aussi, aux cibles de l’accord de Paris, « en raison de l’attention politique minimale accordée à la réduction de la production de combustibles fossiles ».
D’ici 2030, donc, la production planifiée de combustibles fossiles représentera l’émission de 39 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2), le gaz principalement responsable de l’effet de serre et des changements climatiques. Il s’agit là de 13 milliards de tonnes de plus que ce qui correspondrait au respect de la cible d’un réchauffement moyen de 2 degrés Celsius, et de 21 milliards de tonnes au-delà de la cible de 1,5 degré. Une décennie plus tard, cet écart serait encore plus important, mentionnent les chercheurs.
Le charbon, le combustible fossile le plus polluant, est sans surprise celui qui pèse le plus sur le bilan mondial en matière d’écart de production. D’ici 2030, les divers pays prévoient produire 150% plus de charbon, soit 5,2 milliards de tonnes de CO2, que ce qui est visé pour respecter la cible de réchauffement de 2 degrés (280%, ou 4 milliards de tonnes de CO2, par rapport à la cible de 1,5 degré).
Le dilemme, c’est que les combustibles fossiles demeurent la principale source d’énergie de la planète, et représentent ainsi 81% des apports énergétiques de notre civilisation. Au total, leur utilisation équivaut à 75% des émissions polluantes, et à près de 90% des émissions de CO2.
L’an dernier, déjà, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), rattaché à l’ONU, martelait ce qu’il répète depuis plusieurs années: les émissions en provenance des combustibles fossiles devront reculer d’environ 6% par année pour respecter l’objectif de réchauffement de 1,5 degré, et d’environ 2% par année si l’humanité souhaite s’en tenir à 2 degrés. À moins d’une révolution en matière de captation et de stockage du carbone, écrivent les scientifiques du GIEC, la majorité des réserves de combustibles fossiles devront demeurer dans le sol, plutôt que d’être extraites et utilisées.
Pas de panacée
Pas question, non plus, de s’appuyer sur le gaz naturel comme « énergie de transition » vers une économie plus faible en carbone: selon le rapport, qui cite de précédentes études réalisées cette dernière décennie, le développement de l’industrie du gaz naturel entraînerait une baisse des prix de cette ressource, ce qui mènerait à un accroissement de son exploitation, et donc à une hausse des émissions polluantes. L’exploitation du gaz naturel, ou encore du gaz de schiste, donne également souvent lieu à des fuites de méthane, un gaz particulièrement nocif pour l’atmosphère, dont l’impact sur l’effet de serre est plusieurs fois plus important que celui du CO2.
Ainsi, une étude de 2018 démontre qu’aux États-Unis, le taux de fuite de méthane à travers l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du gaz naturel atteint 2,3%, soit une hausse de 60% par rapport aux estimations officielles, et ce qui est comparable, en matière d’impact sur le réchauffement, aux émissions de CO2 provoquées par la combustion du gaz sur un horizon de 20 ans.
Le Canada fait par ailleurs partie du club des grands pollueurs, en s’inscrivant au neuvième rang des pays émetteurs de CO2, principalement en raison de l’exploitation des sables bitumineux albertains. Si la Chine, les États-Unis et la Russie, par exemple, ou encore l’Arabie saoudite émettent bien plus de CO2, entre autres en raison de l’exploitation du charbon (Chine, États-Unis, Russie), l’utilisation du pétrole vient aussi torpiller le bilan environnemental américain, russe, saoudien et iranien, à l’image de celui du Canada.
Les subventions publiques au profit de l’industrie des combustibles fossiles se retrouvent également dans le collimateur des chercheurs. Selon le rapport, l’ensemble des pays du G20, les 20 économies les plus développées de la planète (et les 20 plus grands pollueurs du monde, incidemment) ont versé plus de 70 milliards de dollars américains par année dans les poches des compagnies liées aux combustibles fossiles, et ce uniquement pour les années 2013 et 2014.
Aux yeux des auteurs du rapport, il est donc urgent de faire preuve d’ambition internationale et d’accroître la pression sur les décideurs politiques pour renverser la vapeur en matière de production de combustibles fossiles. Pour ce faire, il faudra réapproprier les 1000 milliards de dollars consacrés chaque année à la construction de nouvelles infrastructures énergétiques liées aux combustibles fossiles à l’échelle mondiale, ainsi que cesser de débourser les 70 milliards en subventions publiques.
Heureusement, affirme-t-on, plusieurs entités économiques ont déjà commencé à se retirer des combustibles fossiles, que ce soit en mettant fin à leurs investissements, ou en exigeant plutôt que l’argent soit consacré à des projets vers ou à la transition énergétique. Parmi celles-ci, on compte notamment les Banques de développement d’Asie, d’Afrique et d’Europe, ainsi que le groupe de la Banque mondiale.
« Réduire l’approvisionnement en combustibles est une étape importante pour atteindre les objectifs internationaux en matière de lutte aux changements climatiques », mentionnent les auteurs du rapport, avant d’ajouter que « de tels efforts (de réduction) sont plus à risque d’être couronnés de succès, dans le cadre d’une tâche « exigeante, mais urgente ».