Comment comprendre le phénomène Donald Trump? Comment expliquer la recrudescence de la haine, de la peur, du protectionnisme économique débridé, du corporatisme mêlé de patriotisme corrompu et à l’odeur de moisissure? Le documentariste Errol Morris s’installe avec nul autre que Steve Bannon, ancien responsable de la campagne Trump et ex-conseiller stratégique du président, dans American Dharma, pour faire la lumière sur le séisme socio-économique-politique de nos voisins du Sud.
Impossible de ne pas reconnaître Bannon. L’homme fait parler de lui depuis près d’une décennie, après tout. Et même depuis plus longtemps, alors que cet enfant de parents profondément démocrates, devenu cinéaste puis grand patron du site de nouvelles radicalement conservateur Breitbart News, s’est découvert un penchant non seulement pour le conservatisme, mais pour la velléité de déclencher des incendies et de mettre à terre les systèmes en place.
Derrière tout cela, soulève Morris en discutant avec le principal intéressé, il y a cette vision du american hero, cet homme sans peur et sans reproche capable des plus grands sacrifices pour servir une cause noble qui le dépasse, et qui dépasse le simple individu. C’est l’homme dévoué, le héros de films de guerre de la belle époque, le valeureux combattant de la liberté et du Bien. Voilà ce qui inspire Steve Bannon, et ce qui sous-tend sa philosophie sociale et politique. Pour parvenir au but ultime, qui consiste à faire s’écrouler les colonnes du temple et de combattre les élites (et les globalistes, forcément), tous les moyens semblent être bons. Fausses nouvelles, mensonges grossiers, distorsion des faits, puis tactiques électorales douteuses, manoeuvres qui auraient torpillé les équipes de campagnes de candidats moins téflon… Bannon a senti que la présidentielle américaine de 2016 était le moment idéal pour empêcher la poursuite de l’alternance entre démocrates et républicains centristes. Et c’est donc largement grâce à lui que les États-Unis – et la civilisation humaine dans son ensemble – a hérité de Donald Trump dans la Maison-Blanche.
Si le retour en arrière, ou plutôt la récapitulation historique, est intéressant, quelque chose cloche dans le documentaire. Cela tient peut-être au fait que Morris, à la 14e minute du documentaire, pose probablement la meilleure question du film: si la révolution Bannon vise à avantager l’Américain moyen, pourquoi permettre aux grandes entreprises de polluer comme s’il n’y avait pas de lendemain? Pourquoi abaisser les impôts et torpiller les services sociaux? Pourquoi empêcher les voyageurs de certains pays d’entrer aux États-Unis? Pourquoi avantager les plus riches? Cette révolution n’est-elle pas plutôt un simple prétexte pour faire imploser le système?
À cela, Bannon ne répond rien. Ou bien, il répond quelque chose, mais le documentariste ne le montre pas et passe à un autre sujet, laissant les cinéphiles sur leur faim. Pourquoi se contente-t-on, bien souvent, de parler du passé sans vraiment poser des questions qui nécessiteraient une réponse approfondie?
Force est d’admettre, cependant, que Steve Bannon a su saisir une occasion sans pareil pour changer l’équilibre des forces politiques aux États-Unis. Devant un Parti démocrate incapable de se renouveler, face à une crainte économique et sociale de la classe ouvrière traditionnelle, les républicains se sont emparés des « vrais » enjeux électoraux pour brasser la cage et gagner l’élection. Que le résultat soit l’une des pires présidences de l’histoire des États-Unis, où le pays de l’Oncle Sam voit sa réputation dégringoler partout dans le monde, à l’exception des dictatures les plus sanguinaires du globe, cela importe peu pour Steve Bannon. Le fait que le sujet du documentaire de Morris ait construit sa vision du monde autour de personnages de fiction, qui n’ont donc jamais existé, et qui représentent une déclinaison idéalisée de la vraie vie, est particulièrement révélateur…
American Dharma, documentaire d’Errol Morris, présenté au Cinéma du Musée. 97 minutes.