À l’Espace Go, la pièce Les serpents, de Marie NDiaye, aborde la délicate question des relations tissées sur l’intérêt, le non-amour, la peur et la méfiance. Chaque personnage juge l’autre.Trois femmes de différentes générations partagent le temps et l’espace de la pièce. Elles sont hautaines ou indignes. Elles ne se touchent que très peu, se tiennent à distance.
Une belle-mère et sa belle-fille, en plus de son ex-belle-fille, rencontrées un 14 juillet avant le spectacle des feux d’artifice dans un village perdu, devant une maison qui donne sur un champ de maïs.
La grandeur et la gloire que représente le 14 juillet, le soleil de plomb et le champ de maïs s’inscrivent en contraste avec les problèmes de ces femmes qui manquent de tout… manquent d’argent ou d’amour, manquent d’attention ou d’estime de soi.
Leur point d’ancrage est l’apparence. Apparaître comme une bonne mère, une bonne maman, une bonne épouse, etc. Mais au fond de leur coeur, il n’y a que rancune, regrets, peurs et violences.
L’habit fait le personnage dans la pièce. La belle-mère soigne son apparence en permanence; d’ailleurs, elle est tellement occupée par sa petite personne et ses habits qu’elle omet ou ignore les souffrances de son petit-fils abandonné par sa mère. Également, l’ex-belle-fille, à son retour, porte des chaussures, un sac en peau de serpents. Elle troque sa belle tenue contre celle de sa prédécesseure pour entrer dans la maison du serpent.
Le centre du cercle de ses femmes est l’homme. Fils ou époux, il rend légitime la relation belle-mère / belle(s)-fille(s) qui se fait ou se défait et refait. Il n’y a que la relation mère-fils qui est solide et éternelle.
Le grand absent de la scène est cet homme qui fait peur par ses gémissements et mugissements. Jamais on ne le voit franchir la porte noire de la maison. Il dort et il ne faut pas le contrarier. L’homme est la source du mal, il tue tous ses enfants ou les avale…
Les trois actrices ont porté la pièce sur leurs épaules avec une élocution sans faille, un ton juste et une respiration maîtrisée vue la longueur des dialogues. Le dialogue entre les personnages frôle le monologue, chacune des femmes est dans sa bulle et court derrière son objectif personnel.
Le langage de corps bien sous contrôle, la chorégraphie des mouvements bien comptés. Le décor est sobre et la lumière s’adapte pour parcourir les corps et les visages pour donner âme à la maison du serpent. Si serpent y en a !
La beauté du texte nous essouffle, le public demeure suspendu aux lèvres des actrices, enivrés par la beauté de la langue, et les nuances des synonymes. Ce registre recherché du texte captive le spectateur au point de risquer de perdre le fil des serpents qui se faufilent partout… manquant d’amour maternel, d’amour charnel, d’amour tout court.
Les serpents, de Marie NDiaye, présenté à l’Espace Go jusqu’au 7 décembre.